‘Les islamistes sont obsédés par les Juifs’

PARIS — “Pour les islamistes, il n’est pas question de parler d’Israël.

 Ces Musulmans ultra-fondamentalistes n’ont qu’une obsession maladive: les Juifs. Le terme très récurrent qu’ils utilisent dans tous leurs discours est celui de Juif ou de Judaïsme. Dans tous les Traités islamistes, le débat est avec les Juifs et non avec l’État d’Israël -les Juifs par rapport à Mahomet, les Juifs par rapport à l’islam… Les islamistes affirment sans ambages que l’islam a connu un déclin au cours de l’Histoire à cause du Judaïsme. Ne nous leurrons pas! La controverse nourrie par les islamistes n’est pas avec l’État d’Israël, c’est avec le Judaïsme et les Juifs. C’est pour cette raison que le discours islamiste transcende souvent Israël.”

Grand spécialiste du monde arabo-musulman et des relations entre Juifs et Musulmans en Terre d’islam, l’historien israélien Michel Abitbol, professeur à l’Université Hébraïque de Jérusalem, note que les Juifs et le Judaïsme, et non pas Israël, sont les “éléments structurants” de l’idéologie islamiste.

Cependant, constatetil, il y a une différence de tonalité entre le discours chiite islamiste et le discours sunnite islamiste.

“Pour les chiites, le Judaïsme est une religion protégée. Les Juifs sont des Dhimis, c’est-à-dire des “protégés”. Mais dans le chiisme iranien, les Juifs sont des êtres impurs. Cette notion d’impureté est fondamentale dans la vision du chiisme iranien. Il y a aussi d’autres éléments très intéressants dans la doctrine religieuse chiite. Quand on analyse la théologie chiite des trois dernières décades, à laquelle se référait l’Ayatollah Kho-meyni, les chiites se prennent pour les anciens Banou Israël, les anciens Israélites. C’est pourquoi le combat iranien et le combat chiite contre l’État d’Israël et les Juifs rappellent d’une certaine manière le combat que l’Église a mené contre la Synagogue et le Judaïsme durant des siècles”, a expliqué Michel Abitbol lors de son intervention dans une table ronde sur l’islamisme et le conflit israélo-arabe, qui s’est tenue dans le cadre du dernier Salon du Livre de Paris.

D’après cet arabisant et grand connaisseur de la culture arabo-musulmane, le discours chiite iranien est beaucoup plus radical que le discours islamiste sunnite. Pour le constater, il n’y a qu’à comparer la phraséologie du Hamas et celle du Hezbollah, deux organisations islamistes radicales en guerre ouverte contre l’État d’Israël.

“La rhétorique du Hamas est basée sur une phraséologie arabe, où Israël occupe une place prédominante, alors que la phraséologie du Hezbollah est basée sur la rhétorique religieuse iranienne chiite, où Israël n’est pas l’unique ennemi à annihiler, mais aussi le Judaïsme et les Juifs.”

D’après Michel Abitbol, il ne faudrait surtout pas réduire l’islamisme à “une réaction épidermique” au conflit israélo-arabe. L’islamisme est une idéologie qui a ses sources et ses origines dans la culture arabo-musulmane contemporaine.

“Il est vrai qu’aujourd’hui le conflit israélo-arabe occupe une place importante dans la pensée islamique. Mais, ce n’est pas le seul élément structurant de cette pensée. Force est de rappeler que l’islamisme, c’est d’abord et surtout un rapport à la modernité, à l’Occident. L’islamisme, c’est aussi l’attitude à l’égard des femmes, du parlementarisme, de la nouvelle économie, de la mondialisation… Donc, ne réduisons pas l’islamisme juste à la question israélienne ou aux réactions d’Israël aux attaques incessantes du Hamas.”

Les réactions militaires israéliennes contre le Hamas sont “souvent disproportionnées”, comme toutes les réactions militaires, surtout lorsqu’il s’agit de riposter aux attaques d’une organisation qui n’a pas d’institutions, ni une armée officielle, estime Michel Abitbol.

“Le Hamas, qui s’appuie sur une armée clandestine, est une organisation qui a fait de son implantation au sein de la population palestinienne sa raison d’être. Quand Israël attaque le Hamas, il attaque aussi les structures sociales de cette organisation islamiste.”

Pourquoi l’islamisme est-il aujourd’hui la force dominante dans le monde arabe?, s’interroge Michel Abitbol.

“Je ne parle pas bien sûr de l’Égypte, qui n’avait pas vraiment besoin de l’islamisme pour donner naissance aux Frères Musulmans. Le monde arabe, c’est l’Algérie, le Maroc, l’Arabie Saoudite… Je suis persuadé que s’il y avait des élections libres dans tous ces pays, on aurait aujourd’hui des majorités islamiques. On ne peut pas expliquer l’influence croissante de l’islamisme par le seul conflit israélo-arabe ou par les réactions militaires israéliennes aux attaques du Hamas ou du Hezbollah. Que fait la société arabe ou la société musulmane non islamique pour freiner ce processus inéluctable? La faille vient de là. On pointe souvent l’échec patent du nationalisme arabe. Mais tous les anciens nationalistes arabes ne sont pas devenus des islamistes. Comment expliquer le succès d’un Tariq Ramadan en France ou ailleurs? Pourquoi faut-il que ce soient les islamistes qui donnent le ton pas seulement au Salon du Livre de Paris 2008, que les pays arabes ont décidé de boycotter parce qu’Israël est l’invité d’honneur, mais dans toutes les questions de société interpellant le monde arabo-musulman. Je crois que pour résoudre le problème de l’islamisme, il faut regarder à l’intérieur même de la société arabe et de la société musulmane. Je vous le concède: le conflit israélo-arabe n’aide pas la société musulmane à sortir de ses problèmes. Mais, il est peut être temps que les Arabes se regardent d’abord euxmêmes, que les Musulmans regardent en premier lieu leurs sociétés avant de tout focaliser sur l’Autre: Israël, l’Amérique, l’Occident…”

Selon Michel Abitbol, le conflit israélo-arabe s’est progressivement transformé en un conflit israélo-palestinien doublé d’un autre conflit, “qui lui a l’air plus universel”: le conflit israélo-judéo-musulman.

Cependant, il y a aujourd’hui entre Israël et plusieurs pays arabes, appartenant à “la ligne des modérés”, des points de convergence qui n’existaient pas il y a encore quelques années, note-t-il. Ces pays, c’est le cas de l’Égypte, de l’Arabie Saoudite, des pays du Golfe, des pays du Maghreb -Maroc, Tunisie, Mauritanie… se sentent menacés par le terrorisme islamique au même titre qu’Israël. Autre grand point de convergence: la menace que fait peser un Iran nucléarisé sur Israël et ces pays arabes. Troisième point de convergence: le déplacement de l’épicentre du conflit israélo-arabe et de l’épicentre du Proche-Orient vers ses franges asiatiques: l’Afghanistan, l’Iran, le Pakistan.

“Ce nouvel épicentre n’est pas seulement politique et militaire, c’est aussi un épicentre idéologique. Aujourd’hui, les principales idées de ce grand mouve-ment qui englobe le monde musulman qu’est l’islamisme émanent du Pakistan et de l’Afghanistan et non plus -d’Égypte, comme c’était le cas dans les années 60. C’est un changement géo-stra-té-gique de premier plan, à telle enseigne qu’on pourrait même parler d’une sorte de marginalisation du conflit israélo-arabe.”

Cette marginalisation du conflit israélo-arabe, “au risque peut-être de vous étonner”, ajouta Michel Abitbol, touche aussi les Israéliens d’une certaine manière.

“La majorité des Israéliens sont prêts à rendre les Territoires palestiniens. Il est indéniable que pour les Israéliens ces Territoires n’ont plus la même importance stratégique et sécuritaire qu’ils avaient il y a quelques années. D’autant plus qu’Israël a traversé une véritable révolution socio-économique, avec l’émergence du high-tech, l’immigration soviétique… Les Israéliens sont moins réfractaires à l’idée de restituer ces Territoires aux Palestiniens. Le seul problème est qu’ils n’ont pas encore un interlocuteur palestinien crédible à qui rétrocéder ces Terres. Quand les Israéliens ont quitté la bande de Gaza, il n’y a pas eu de grandes manifestations ni de grands bouleversements dans la société israélienne. Ce qui montre vraiment une préparation intellectuelle des Israéliens à se débarrasser des Territoires palestiniens. C’est une véritable révolution au niveau psychologique!”

Israeli historian Michel Abitbol spoke at this year’s Paris Book Fair about how Islamism views Israel as compared with other Muslim groups.