Entrevue avec le géopolitologue Alexandre Adler

Alexandre Adler (Wikipédia photo)

L’impasse politique persiste en Israël. Les résultats des élections législatives du 17 septembre dernier n’ont pas permis de dénouer le nœud gordien d’un imbroglio politique récurrent : la grande difficulté à constituer une coalition gouvernementale viable. S’achemine-t-on vers un scénario quasi incontournable : la mise sur pied d’un gouvernement d’union nationale, souhaité par une large majorité d’Israéliens ?

“Le résultat des dernières élections en Israël est plutôt catastrophique pour Benyamin Netanyahou. Mais si ce dernier arrive à imposer un compromis, et à assumer dans un éventuel gouvernement d’union nationale la fonction de premier ministre par intérim ou de ministre des Affaires étrangères, tout en sachant qu’il devra à un moment donné passer le flambeau à Benny Gantz, je pense qu’à ce moment-là, à la fin des fins, comme on dit en allemand, “Springen als ob streben” –”En sautant comme en s’évertuant”–, Bibi continuera à être le faiseur de rois et finira par imposer un gouvernement d’union nationale sous une forme ou sous une autre. Benny Gantz aura intérêt à constituer ce gouvernement bicéphale d’unité nationale de manière pacifiée et non agressive”, explique en entrevue depuis Paris le géopolitologue, historien et essayiste Alexandre Adler.

Membre du comité éditorial du grand quotidien français Le Figaro, fondateur de l’hebdomadaire du Courrier International, analyste chevronné de l’actualité internationale, Alexandre Adler est l’auteur d’une vingtaine d’essais sur la géopolitique internationale, la politique américaine, l’islamisme, le monde arabe et le conflit israélo-palestinien.

Son dernier livre, Le temps des apocalypses (Éditions Grasset), est un essai imposant et des plus éclairants dans lequel ce fin décrypteur des grands enjeux géopolitiques internationaux nous livre sa vision de notre monde contemporain.

Pour Alexandre Adler, la tenue de nouvelles élections législatives en Israël –ce serait le troisième scrutin électoral en l’espace de quelques mois– n’est pas un scénario plausible.

“De nouvelles élections engendreraient un coût politique insupportable pour Israël. Il va donc falloir trouver une solution. Elle va être trouvée à la fin, in extremis, et après, on verra bien. À un moment donné, ce sera au tour de Benny Gantz d’assumer la charge de premier ministre d’Israël, mais peut-être pas tout de suite.”

Le plan de paix pour le Moyen-Orient que le président Donald Trump s’apprête à dévoiler est-il une option sérieuse pour rapprocher les Israéliens et les Palestiniens et pacifier une région gangrenée par de nombreux conflits ou simplement un écran de fumée?

“Il ne faut pas se faire des illusions. Les Palestiniens rejettent catégoriquement le plan de paix qui sera proposé prochainement par l’administration Trump. C’est le fait qu’ils soient opposés à cette initiative de paix américaine qui permettra d’aller de l’avant. Il n’y aura pas de restitution de territoires de la part d’Israël, ni de grands compromis, ni une espèce de compromis de la dernière chance, qui aurait comme seule conséquence l’assassinat des leaders de l’Autorité palestinienne par des extrémistes de leur propre camp. Pendant que les Palestiniens continueront à clamer qu’ils sont contre le plan de paix concocté par Jared Kushner, un certain nombre de décisions de facto seront prises en faveur d’une partie des territoires israéliens en Cisjordanie, mais aussi en faveur de la communauté palestinienne dans ses différentes formes. Ainsi, les électeurs arabes israéliens et les Palestiniens de la Cisjordanie seront confortés, mais sans négociation de leur part. Ils auront toujours la possibilité de dire qu’ils sont contre tout compromis avec Israël, ce qui les préservera des assassinats ou de la surenchère des extrémistes palestiniens.”

Alexandre Adler estime que Donald Trump est bien positionné aujourd’hui pour chambarder les principales donnes du conflit israélo-palestinien, qui paraissent immuables, et de certains dossiers géopolitiques internationaux fort épineux.

“La gestion par Donald Trump de plusieurs dossiers géopolitiques internationaux sulfureux, dont le conflit israélo-arabe, est de plus en plus prudente. Trump, qui a commencé sa présidence comme un perturbateur dangereux, est en train de devenir un homme parfaitement raisonnable. Désormais, il ne souhaite qu’une seule chose : éviter le plus possible d’être contesté par l’opinion publique. Il est conscient qu’on a essayé de le faire tomber avec ses supposés liens avec la Russie, que ses adversaires n’ont pas pu prouver. Mais les démocrates n’en démordent pas. Là, ils essayent de le destituer en invoquant une supposée ingérence de sa part auprès des autorités ukrainiennes. Je doute fort qu’ils y parviennent. Trump mène une politique extrêmement conciliante dans tous les domaines. Il est en train de réussir un grand tour de force : un compromis avec la Corée du Nord. L’actuel locataire de la Maison-Blanche est devenu un personnage relativement modéré.”

Ces dernières semaines on a craint un embrasement du Moyen-Orient à la suite des attaques des installations pétrolières saoudiennes commanditées par l’Iran. Quelles seront les conséquences de ce contentieux entre Ryad et Téhéran?

“Je ne pense pas qu’il y aura une conflagration régionale parce qu’on constate qu’actuellement le véritable patron en Arabie saoudite est Adel ben Ahmed al-Joubeir, ministre d’État aux Affaires étrangères. Ce fin stratège ne cesse de s’opposer à des mesures radicales contre l’Iran qui pourraient conduire à un engrenage fatal. Il veut éviter les confrontations frontales avec les Iraniens afin de trouver une solution politique globale. Au contraire, il veut pousser les différents acteurs, y compris le Qatar, qui est le représentant des Frères musulmans, à agir de manière de plus en plus raisonnable. Aujourd’hui, al-Joubeir est le véritable homme fort du régime saoudien. Ses alliés israéliens le soutiennent à 100%. Il est un partisan de représailles modérées qui n’ont qu’un but: ne pas revenir aux politiques d’antan.”

D’après Alexandre Adler, l’alliance stratégique forgée entre Israël et l’Arabie saoudite continuera à se renforcer.

“Israël soutient à 100% la politique d’Adel ben Ahmed al-Joubeir. Celui-ci a déjà déclaré clairement qu’il veut un accord-cadre complet entre Israël et l’Arabie saoudite. Il souhaite immédiatement la reconnaissance d’Israël par l’Arabie saoudite. Ça, c’est un fait nouveau sans précédent. Non pas que les Saoudiens n’aient pas été prudents au cours de leur histoire à l’égard d’Israël, ils l’ont toujours été, mais jamais au point de reconnaître formellement l’État hébreu. C’est le scénario qui est en train de se concrétiser sous nos yeux.”

Lors du dernier sommet du G7, à Biarritz, Donald Trump s’était dit prêt à discuter avec l’Iran du dossier nucléaire “si les circonstances étaient convenables”. Les conditions d’une “désescalade” peuvent-elle être réunies où s’achemine-t-on plutôt vers un nouveau bras de fer entre Washington et Téhéran?

“Le dossier nucléaire iranien a été totalement rendu public par le Mossad. On connaît aujourd’hui, grâce aux services de renseignement israéliens, les détails relatifs à la totalité des violations commises par les Iraniens de l’accord sur le nucléaire conclu en 2015 avec les grandes puissances occidentales. Le gouvernement iranien est dans un embarras total, sauf qu’il n’a pas été encore renversé. C’est ce que souhaitent les Gardiens de la Révolution, armée idéologique de la République islamique, plus puissante que les forces régulières. Mais ils n’y sont pas encore parvenus.”

Alexandre Adler a conclu cet entretien sur une note d’optimisme : “Révélation de notre temps et non fin des temps”, telle est la définition exacte de l’Apocalypse.

“L’Apocalypse veut dire révélation et non pas destruction. La notion de destruction a été associée au concept d’Apocalypse à partir de l’époque romaine. Aujourd’hui, nous vivons des temps où il n’y aura pas de destruction, mais une simple révélation. Nous découvrons peu à peu des choses qu’on n’imaginait pas jusque-là, notamment les liens étroits et irréversibles entre le monde arabe et Israël. Ceux-ci aboutiront, tôt ou tard, à une reconnaissance d’Israël par le monde arabe. Cette reconnaissance est un fait absolument irréversible et fondamental pour comprendre la suite des choses. C’est-à-dire : plus jamais le monde arabe et Israël ne se feront la guerre.”