Le devoir de mémoire de Léon Celemencki

Léon Celemencki (CJN photo)

Léon Celemencki, 79 ans, n’a rien oublié. Des souvenirs funestes sont toujours vivaces dans sa mémoire meurtrie par une hécatombe humaine indicible, la Shoah.

La famille Celemencki résidait à Belfort, une commune située dans le nord-est de la France occupée par l’armée allemande depuis le 18 juin 1940.

Le 12 juillet 1942, Léon Celemencki n’a que deux ans quand des policiers français, suivant scrupuleusement les directives antisémites édictées par le gouvernement de Vichy, font irruption à l’aurore dans le domicile familial pour arrêter ses parents, Jacob Celemencki et Fajga Tabacznik.

Jacob Celemencki s’était engagé comme volontaire dans la Légion étrangère pour combattre les occupants nazis.

Horripilé à l’idée de laisser seuls ses enfants — Léon et ses deux sœurs plus âgées, Arlette et Sarah-Renée —, Jacob Celemencki s’escrime à convaincre les policiers de le laisser se rendre au commissariat afin de se renseigner sur la légitimité de cette arrestation. Convaincus qu’il sera écroué sur le champ dès qu’il franchira le seuil de la préfecture de police, les policiers acquiescent à sa requête.

Son épouse, Fajga, est arrêtée. Elle sera transférée et internée au camp de Pithiviers, situé près d’Orléans, avant d’être déportée, le 17 juillet 1942, par le convoi no 6 au camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau.

Les enfants Celemencki sont laissés seuls dans leur maison. Quelques heures plus tard, leur père, qui est parvenu à convaincre les autorités policières de le relâcher, reviendra les chercher. Il confiera leur garde à des voisins pendant deux jours. Jacob Celemencki part se cacher chez un ami qui vit à quelques kilomètres de Belfort.

Léon Celemencki a raconté son histoire à des élèves de l’École Hebrew Academy. (École Hebrew Academy photo)

Pendant ce temps-là, les rafles de Juifs se multiplient dans les principales villes de France. Les 16 et 17 juillet 1942, 12 884 Juifs, dont 4051 enfants, sont arrêtés à Paris par des policiers français. Ils seront internés pendant cinq jours au Vélodrome d’Hiver avant d’être transférés dans des camps de transit situés à proximité de Paris d’où ils seront déportés vers le camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau.

Léon Celemencki et ses sœurs sont arrêtés et placés dans des centres dirigés par l’Union générale des Israélites de France (UGIF) sous le contrôle étroit de l’administration allemande. Après avoir remonté les traces de ses enfants, Jacob Celemencki sort de sa cache et parvient à les récupérer en catimini.

Il confie ses deux filles à un orphelinat, qui les hébergera pendant toute la durée de la guerre. Léon, encore bébé, sera pris en charge par son oncle et sa famille qui vivent à Tulle, ville située en zone libre où les Juifs se sentaient en sécurité. Mais, le 11 novembre 1942, les troupes nazies envahissent la zone libre.

Le 6 juin 1944, un voisin catholique informe la famille de l’arrivée imminente des troupes allemandes qui ont reçu pour mission de traquer et d’arrêter les Juifs et les résistants. Léon, son oncle, sa tante et son cousin échapperont à la rafle des nazis grâce à leur voisin et son épouse qui les cacheront dans le grenier de leur maison, dans un réduit situé derrière la cheminée.

Pour le mettre à l’abri des persécutions, Léon est élevé dans la foi catholique. Il n’apprendra qu’après la guerre qu’il est Juif. Il vivra pendant toute la durée du conflit sous une fausse identité: Léon Clément.

Il retrouvera son père et ses sœurs à la libération de la France par les troupes alliées.

Léon Celemencki lors d’une rencontre avec des élèves de l’École Herzliah. (École Herzliah photo)

Léon Celemencki était l’un des 84 000 enfants juifs qui vivaient en France au début de la Seconde Guerre mondiale. De ce nombre, 10 147 seront déportés vers les camps d’extermination nazis, 62 000 resteront avec leurs parents ou seront confiés à des institutions ou à des familles catholiques. Entre 8000 et 10 000 enfants juifs seront sauvés par ces vaillants Catholiques.

Léon Celemencki a narré sa vie dans un livre bouleversant et très captivant, Le Lion de Belfort: l’histoire d’un enfant qui a survécu à l’Holocauste, publié en 2019 par la Fondation Azrieli dans sa collection dédiée aux récits de survivants de la Shoah.

“Sans l’aide précieuse et généreuse de cette courageuse famille catholique, les Beaumont, je ne serais pas en train de vous parler aujourd’hui. Pendant la guerre, des Justes, qui ont été honorés par l’État d’Israël, ont aidé des milliers de Juifs français à échapper aux atroces rafles des nazis. Ces grandes âmes humaines incarnaient avec honneur les valeurs de la France que j’affectionne”, nous a confié en entrevue, fort ému, Léon Celemencki.

Bien qu’il était enfant au moment de la guerre, des images impérissables de cette époque de feu et de fureur sont toujours omniprésentes dans sa mémoire.

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La perte irréparable de sa mère, gazée peu après son arrivée au camp d’Auschwitz-Birkenau, et sa séparation avec les autres membres de sa famille n’ont cessé de le hanter.

Pendant longtemps, Léon Celemencki s’est cantonné dans un mutisme abyssal. L’idée de raconter son histoire le rebutait. Mais, il y a environ six ans, il a pris fortement conscience de l’importance des témoignages des derniers survivants de la Shoah, particulièrement à une époque où l’antisémitisme renaît avec force dans les pays démocratiques.

Aujourd’hui, il relate son histoire très poignante d’enfant juif caché pendant la dernière Grande Guerre à ses quatre petits-enfants et à des jeunes, juifs et non juifs, qu’il rencontre dans des écoles où lors de leur visite du Musée de l’Holocauste de Montréal, institution mémorielle où il est très actif bénévolement.

Il ne cesse d’encourager les derniers survivants de la Shoah vivant à Montréal à raconter leurs expériences concentrationnaires.

“C’est simplement mon devoir de mémoire que j’accomplis. Ce travail pédagogique et de transmission auprès des jeunes générations est fondamental pour honorer la mémoire des six millions de Juifs assassinés pendant la Seconde Guerre mondiale et pour qu’une tragédie aussi abominable ne se reproduise plus. Malheureusement, l’humanité semble souffrir d’une amnésie historique aiguë. Depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, d’autres génocides et massacres effroyables ont été commis dans le monde: au Rwanda, en Syrie… Malheureusement, ces actes barbares nous rappellent que l’instinct de mort et de destruction des humains est toujours à l’œuvre.”

Léon Celemencki et la juge québécoise Juanita Westmoreland-Traoré (à sa gauche) lors d’une soirée au profit de la diversité et de l’inclusion qui s’est tenue au Musée des beaux-arts de Montréal. (Musée des beaux-arts de Montréal photo)

Léon Celemencki tient à nous mettre en garde contre “la banalisation du mal”.

“La Shoah a été perpétrée par l’un des peuples les plus civilisés et éduqués du monde: les Allemands. Des dictateurs mégalomanes et xénophobes, élus démocratiquement, peuvent mener leur peuple vers des catastrophes horrifiantes. N’oublions jamais le passé. Seul celui-ci pourra éclairer l’avenir de nos jeunes.”

À l’occasion de la commémoration du 75e anniversaire de la libération du camp d’Auschwitz-Birkenau, Léon Celemencki a relaté son histoire à des médias québécois et canadiens.