Le Dictionnaire amoureux de l’Humour juif

“L’histoire des Juifs commence par le rire d’Abraham et de Sarah apprenant que, presque centenaires, ils auront un fils. Dieu leur ordonne de l’appeler Yitzhak, qui signifie en hébreu “qui rira”! Ce rire qui va du Talmud à Rabbi Jacob, en passant par Freud et Woody Allen, est un rire tonitruant, irrespectueux de tout, qui défie le destin. En Galicie, à Tunis, à New York… partout. Même à Auschwitz.”

Le Dictionnaire amoureux de l’Humour juif d’Adam Biro, qui vient de paraître aux Éditions Plon, est un bijou littéraire que chacun devrait posséder dans sa bibliothèque.

Ce dictionnaire hilarant, savoureux, fort instructif et des plus captivants convie le lecteur à un périple insolite à travers l’Histoire plurimillénaire du peuple juif.

Adam Biro BRUNO KLEIN PHOTO

Une myriade de witz, mot allemand (vitz en Yiddish) utilisé par l’auteur à la place de “blague”, “plaisanterie”, “histoire drôle”, “anecdote”, “vanne”, parsèment ce dictionnaire atypique qui est une ode à l’éternel sens de l’autodérision des Juifs.

Le lecteur se délectera en gambadant à travers une kyrielle d’entrées des plus hétéroclites: pays, villes, éminents écrivains, littérature, arts, psychanalyse, cinéma, figures illustres du judaïsme, récits bibliques, personnages politiques légendaires, antisémitisme, Shoah, Ashkénazes, Sépharades…

Qu’est-ce qui a motivé Adam Biro à se lancer dans une aventure littéraire aussi ambitieuse?

“C’était un très grand défi. Dès que j’ai entamé ce projet d’écriture, je me suis rendu compte, hormis des blagues qui m’étaient familières, que je ne connaissais rien au judaïsme et à l’histoire du peuple juif. Je me suis mis alors à dévorer des livres et à me documenter énormément sur ce sujet. J’ai réalisé, tout en étant évidemment Juif consciemment, que le judaïsme comme sujet d’étude était très loin de moi”, raconte Adam Biro en entrevue depuis Paris.

En écrivant ce dictionnaire, Adam Biro s’est rendu compte aussi que l’humour juif est l’une des composantes fondamentales de l’identité juive.

“Je dirais même, et je souscris entièrement à cette opinion qui peut choquer, que le judaïsme a trois piliers cardinaux: la loi orale, la loi écrite et l’humour. Celui-ci a permis au peuple juif de vivre, et de survivre. Pour les Juifs, l’humour est un outil indispensable pour se défendre contre autrui et contre le destin funeste qui a jalonné leur tumultueuse histoire.”

Ce qui caractérise l’humour juif, c’est indéniablement l’autodérision, souligne Adam Biro.

“L’autodérision soulage les Juifs et leur rappelle sans cesse de demeurer modestes. Aucun autre peuple, à part peut-être les Britanniques et les esclaves noirs des États du sud des États-Unis avant leur émancipation, ne pratique avec autant de masochisme l’autodérision.”

Né à Budapest en 1941, Adam Biro est un survivant de la Shoah. Une grande partie de sa famille a péri dans les camps de la mort allemands. Pendant l’occupation nazie de la Hongrie, il s’est caché avec sa mère dans la cave de l’immeuble où ils habitaient grâce à la complicité de leur concierge.

Il vit à Paris depuis le début des années 70. Aujourd’hui à la retraite, il a été éditeur de livres d’art. Il est l’auteur de plusieurs recueils de nouvelles, traduits en plusieurs langues, et d’un roman.

L’entrée qu’il consacre à “Auschwitz” choquera certainement. Peut-on réellement rire de tout?

“Auschwitz, c’est l’extrême. C’est ce que le peuple juif a subi de pire dans son histoire. Pourtant, chez les Juifs, Auschwitz est aussi un sujet de plaisanterie et de vie. Nous rions même de nos tragédies les plus macabres. J’ai colligé des blagues sur cette tragédie ineffable, plusieurs racontées par des survivants de cet enfer.”

Adam Biro nous raconte ce witz sur Auschwitz: au paradis, quatre Juifs rient à gorge déployée en se tapant sur les genoux et en se donnant des bourrades. Dieu apparaît soudainement et les apostrophe: “Pourquoi riez-vous comme ça?”, leur demande-t-il. Leur réponse: “Tu ne peux pas comprendre, tu n’étais pas à Auschwitz!”

Une entrée des plus surprenantes est dédiée aux Sépharades d’Afrique du Nord. Adam Biro affirme qu’à la différence du monde ashkénaze, il n’y a jamais eu un humour proprement juif dans les pays d’Afrique du Nord. Pourtant, certains lui rétorqueront que l’humour juif a toujours fait partie de l’essence identitaire des Sépharades du Maghreb.

“Je m’attendais à cette remarque, répond-il posément. Avant d’écrire cette entrée, je me suis bien renseigné auprès d’un grand nombre de Sépharades originaires du Maroc, de Tunisie, d’Égypte… J’ai lu goulûment les livres d’André Nahum sur cette question. Mes interlocuteurs m’ont tous confirmé qu’il n’y a pas un humour juif spécifique en Afrique du Nord, que celui-ci s’est toujours confondu avec l’humour arabe local. Juifs et Arabes vivaient, même si physiquement séparés, dans la même civilisation. Yehuda Alharizi, poète et traducteur juif du XIVe siècle, qu’on considère comme l’ancêtre des witz sépharades, a vécu bien avant l’expulsion des Juifs d’Espagne. Si ses dictons, ses poèmes courts et ses anecdotes ont traversé le temps et l’espace jusqu’au Maghreb, on ne peut pas parler d’humour sépharade à son sujet.”

Le Dictionnaire amoureux de l’Humour juif nous intime, avec une bonne dose d’ironie et de truculence, à ne jamais désespérer en dépit de la morosité ambiante qui caractérise notre époque.

“Permettez-moi de vous rappeler que tous les moments de l’histoire du peuple juif ont été graves, et souvent très noirs: l’expulsion des Sépharades d’Espagne en 1492, les années de guerre, d’antisémitisme et de persécutions pendant le nazisme, les années abjectes du totalitarisme communiste soviétique et son principal corollaire: un antisémitisme impitoyable, le bannissement des Juifs des pays arabes après la création d’Israël, en 1948… À 76 ans, je suis preparé à tout. Je suis d’un pessimisme total quant au présent et d’un optimisme absolu quant à l’avenir. Aujourd’hui, les Juifs ne vivent pas des moments plus graves qu’il y a 100, 50 ou 30 ans. Nous sommes toujours vivants!”

L’écriture de ce dictionnaire a été pour son auteur un “immense moment de bonheur”.

“J’ai ressenti pendant l’écriture de ce livre ce que les Juifs ressentent très souvent: une passion ardente pour l’étude. Je suis résolu à ce que cette passion, qui me dévore désormais, ne s’éteigne jamais”, conclut Adam Biro.