Le gouvernement Netanyahou survivra-t-il?

Denis Charbit

Cette entrevue avec le politologue israélien Denis Charbit a été réalisée avant que la police israélienne ne recommande l’inculpation de Benyamin Netanyahou pour corruption.

La coalition gouvernementale dirigée par Benyamin Netanyahou parviendra-t-elle au bout de sa mandature, en 2019, ou implosera-t-elle avant?

Professeur au Département de sociologie, science politique et communication de l’Open University of Israel (Université ouverte d’Israël), établie à Ra’anana, Denis Charbit est l’auteur de plusieurs livres sur l’histoire du sionisme, le conflit israélo-arabe et les intellectuels français à l’époque de l’Affaire Dreyfus.
Dans son dernier livre, Israël et ses paradoxes. Idées reçues sur un pays qui attise les passions (Éditions Le Cavalier Bleu, 2015), il s’emploie à déboulonner une pléthore d’idées stéréotypées et fallacieuses sur Israël.

“Si Netanyahou, qui est l’objet de plusieurs enquêtes policières pour corruption, est mis en examen, il est fort probable que sa coalition éclatera et qu’il y aura des élections générales anticipées. Mais, si ce scénario ne se produit pas, le gouvernement Netanyahou pourrait arriver au terme de sa mandature. Les partenaires de cette coalition gouvernementale essayeront de se maintenir au pouvoir le plus longtemps possible en se disant qu’il leur faudra absolument se serrer les coudes car ils ne pourront pas mieux faire aux prochaines élections. Pour eux, c’est le meilleur scénario politique possible”, explique Denis Charbit en entrevue depuis Tel-Aviv.

Quel regard Denis Charbit porte-t-il sur le paysage politique israélien de 2018?

“Pour l’observateur, même impartial, ce qui est assez impressionnant, c’est de voir le réveil de l’opposition. Ces dernières années, on a connu une opposition en état de léthargie, convaincue que l’hégémonie politique est à droite et que ce sont les religieux qui tiennent le haut du pavé à la Knesset. Or, depuis cet automne, les Israéliens ont découvert, à l’instar des citoyens d’autres pays démocratiques, un gouvernement usé par le temps. Vous avez connu au Canada aussi ce phénomène de l’usure du pouvoir politique.”

Le tournant a été la tentative désespérée, vaine d’ailleurs, des ténors du Likoud de faire voter des lois afin de mettre Netanyahou à l’abri d’éventuelles poursuites judiciaires, souligne Denis Charbit.

“On a assisté ces derniers mois, à la Knesset, à un spectacle fort désolant. On a vu des députés de la coalition de Netanyahou, et pas des moindres, élaborer d’une manière grossière, sans aucune retenue et sans aucune nuance, des projets de loi exclusivement inspirés non pas par l’intérêt public, mais par le souci de protéger Netanyahou contre d’éventuelles poursuites judiciaires.”

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C’était tout du moins l’objectif d’une loi fortement décriée, qui n’est pas passée, la “loi française”, inspirée d’une législation conférant l’immunité à un président de la république française en exercice. Ce type de loi stipule qu’on ne peut mettre en examen, ou traduire en justice, un président, ou un premier ministre, qu’un mois après la fin de ses fonctions officielles.

Une autre législation très controversée, élaborée par des membres du Likoud pour mettre Netanyahou à l’abri de la police et de la justice, est celle portant sur les recommandations de la police. Cette loi vise à entraver la publication d’éléments à charge tirés du dossier d’une enquête policière. Ainsi, les recommandations formulées par la police ne seront communiquées qu’à la justice et au ministère public, mais ne seront pas diffusées dans la presse et auprès de l’opinion publique, qui ignoreront leur teneur. Cette loi a été adoptée par la Knesset. Mais Netanyahou a décidé qu’elle ne serait pas appliquée aux enquêtes policières dont il fait actuellement l’objet.

“Au-delà du réveil de l’opposition, ces tentatives de faire passer des lois pour protéger Netanyahou ont provoqué l’indignation de nombreux Israéliens, y compris de citoyens campant à droite. Ces derniers ont exprimé leur dégoût, voire leur répulsion, vis-à-vis d’une Knesset qui pendant plusieurs mois n’a fait que plancher sur ce type de projets de lois et raviver des débats peu sains pour une démocratie.”

L’élaboration d’autres lois, ne concernant pas Netanyahou, sont aussi la preuve manifeste d’une sorte de fuite en avant, ajoute Denis Charbit.

C’est le cas de la loi visant à rétablir la peine de mort en Israël.

“Promulguer ce type de loi sans aucun débat public préalable inquiète beaucoup d’Israéliens”, dit Denis Charbit.

Ces lois et projets de loi fort contestés sont-ils le signe d’une régression démocratique?

“”Le pouvoir tend à corrompre, et le pouvoir absolu corrompt absolument”, disait Lord Acton. Il y a quelque chose de presque fatal quand on est trop longtemps au pouvoir. À un moment, on a l’impression qu’on est chez soi. On fait donc ce qu’on veut. Ce sentiment, les Israéliens le ressentent fortement depuis 2015. Cette année-là, Netanyahou a gagné les élections alors que tout le monde était convaincu, à gauche comme à droite, qu’il allait les perdre. Le sentiment de cette victoire inespérée a donné des ailes à la droite israélienne. Ainsi, on a vu émerger une droite décomplexée qui se dit: “Si on a le pouvoir alors que tout était écrit pour qu’on le perde, c’est qu’on peut faire ce qu’on veut”.”

Si on examine le calendrier politique israélien, par rapport à 2017, 2015 et 2016 ont été deux années où toutes les tensions étaient concentrées à l’intérieur de la coalition gouvernementale dirigée par Netanyahou, constate Denis Charbit.

“Durant ces deux années, il y a eu des débats, souvent virulents, entre la droite et la droite plus extrême, telle qu’incarnée par Naftali Bennett, entre les députés religieux et ceux du parti Koulanou de Moshé Kahlon… chacun défendant ses propres intérêts. L’opposition était quasiment inexistante. Or, depuis cet automne, pour la première fois depuis bien longtemps, l’opposition s’est réveillée. Plus la coalition de Netanyahou se déchire, plus l’opposition se réveille.”