Rencontre avec le romancier Philippe Besson

Philippe Besson (Maxime Reychman/Éditions Julliard photo)

Philippe Besson est l’un des romanciers français les plus populaires.

Il est l’auteur de vingt romans, encensés par la critique, qui ont connu un grand succès. Ses livres ont été traduits en une vingtaine de langues. Trois de ses romans ont été traduits en hébreu.

Dans sa trilogie romanesque, constituée par Arrête avec tes mensonges, Un certain Paul Darrigrand et Dîner à Montréal, publiée aux Éditions Julliard, Philippe Besson relate avec une grande sincérité et sensibilité ses amours clandestines de jeunesse.

Dans cette œuvre autobiographique émouvante et fort captivante, l’écrivain nous livre une réflexion perspicace sur les amours déchues, la perte de l’Autre, la complexité des relations humaines, les ravages inexorables du temps. Des thèmes universels qu’il explore avec émotion, intensité et tendresse.

Ce romancier de talent a été l’un des invités d’honneur du Salon du livre de Montréal. Nous l’avons rencontré à cette occasion.

Dîner à Montréal clôt un triptyque autobiographique.

Je ne me suis jamais caché derrière mon petit doigt. Il est clair qu’en écrivant ces trois récits fortement autobiographiques, je raconte sans fard, sans chercher à dissimuler quoi que ce soit, des moments majeurs de ma vie. Jusque-là, j’avais toujours écrit des romans. J’adore écrire des romans parce que la fiction me fascine. J’ai un imaginaire plutôt fertile. Mais, en 2016, une rencontre inopinée a déclenché l’écriture d’Arrête avec tes mensonges. Elle a libéré en moi quelque chose de très fort. Je me suis dit alors: “Je vais raconter des choses intimes de manière directe”. Mais même si ces textes sont d’essence autobiographique, il n’y a aucun doute que ma volonté, ou mon ambition, c’est d’essayer de faire littérature. Je ne souhaitais pas livrer simplement un témoignage. Mon envie, c’était de tendre un miroir au lecteur, d’écrire un texte percutant en espérant qu’il s’y reconnaisse. Dans Arrête avec tes mensonges, j’évoque le premier amour de jeunesse qui nous a tous profondément marqués. Dans Un certain Paul Darrigrand, je relate un amour clandestin et sa sinistre fin. Dans Dîner à Montréal, j’aborde frontalement des questions épineuses: qu’avons-nous fait de notre jeunesse, de nos vingt ans? Où s’est perdu l’âge des possibles? Que sont devenues nos amours anciennes? Des questions qu’on se pose régulièrement. Je me les suis posées à la faveur de certaines circonstances. J’ai écrit ces trois livres avec l’espoir que le lecteur, ou la lectrice, s’y reconnaîtra et oubliera mon cas personnel.

S’il s’agit d’une autofiction pourquoi le mot “roman” est-il inscrit sur la page couverture de Dîner à Montréal?

C’est moi qui ai tenu à spécifier “roman” sur la couverture du livre, parce qu’il y a dans celui-ci des éléments fictifs: j’ai changé les noms des personnes concernées et quelques lieux géographiques. Et, il y a aussi dans ce livre un aspect important: c’est un exercice de mémoire, à la différence du roman pur qui est un exercice d’imagination. Une partie de cette mémoire est exacte, précise, mais elle recèle aussi des failles. C’est pourquoi elle est souvent recomposée, restaurée, ripolinée. Il y a aussi un autre niveau de mémoire, la mémoire fantasmée: se remémore-t-on ce qui a été ou ce qu’on aurait aimé qu’il fût? Je ne peux pas prétendre avoir dit l’exacte vérité. D’ailleurs, je n’ai pas cherché à la dire, mais je ne vais pas non plus me retrancher derrière le mot “roman” et vous dire: “Je vous assure, tout ce que vous lisez est faux”. Ce serait vraiment absurde. Pour moi, le terme “roman” signifie plutôt: ce n’est pas un texte sur moi, c’est simplement un texte pour ceux qui le liront.

Écrire des livres aussi personnels a dû être un exercice ardu.

Ça a été un exercice un peu douloureux. Ces trois livres nous ramènent à des questions qui au premier abord paraissent simplistes, mais qui en fait sont des questions existentielles majeures. Prendre la mesure du temps qui est passé, c’est se rendre compte qu’on n’est plus à l’âge des possibles, que des choix irréversibles ont été faits. C’est se rendre compte de ce qu’on a perdu, que sa vie a pris une direction qu’on n’a pas choisie, c’est faire le compte des disparus ou des absents. Si l’homme de cinquante ans que je suis aujourd’hui regardait le jeune homme de vingt ans que j’ai été, en serait-il fier ou en aurait-il un peu honte? C’est une façon de faire un bilan de sa vie et de se dire: “Qu’est-ce que j’ai fait du jeune homme que j’étais?”

Mais, en même temps, l’écriture de ces trois livres a été pour moi un moment heureux pour deux raisons. La première: une immersion dans ma jeunesse, revenir au temps de l’insouciance, de la légèreté, de la désinvolture, de l’amour, de la fièvre, de la ferveur. J’ai retrouvé toutes ces sensations avec beaucoup de plaisir. J’étais un peu décontenancé, dérouté, mais c’était agréable de se replonger dans cet univers révolu et d’essayer de retrouver les sensations ressenties à l’époque. C’était aussi une façon de régler son sort à l’histoire. Si on prend par exemple mon histoire avec Paul Darrigrand, je l’ai entièrement subie: la maladie… j’ai guéri miraculeusement, l’amour… je me suis fait larguer sans y être pour rien. J’étais dans une situation d’impuissance totale. Relater cette histoire a été une façon de prendre ma revanche d’une certaine manière, en tout cas de me dire: “Je suis capable de l’écrire, donc de la mettre à distance, de la dominer un tant soit peu”. L’écriture de ces livres n’a pas été libératrice, je n’aime pas ce mot, mais elle a été en tout cas curative.

En relatant vos amours clandestines ne trahissez-vous pas vos anciens partenaires?

Bien sûr que je trahis l’Autre. Tant mieux si je l’ai fait. Quand Patrice Chéreau a adapté mon roman Son frère, la première chose que je lui ai dite est: “Tu feras un film formidable si tu trahis le texte du livre. Tu feras un film très mauvais si tu lui es fidèle”. Le cinéma et la littérature n’ont rien à voir l’un avec l’autre. Ce sont deux exercices différents. La trahison est parfois le meilleur moyen de rendre hommage à quelqu’un, car si vous essayez d’être trop près de la vérité, vous risquez d’être un peu plat. Je me soucie peu de l’exactitude. Ce qui m’importe, c’est que le récit soit émouvant, que le lecteur ait envie de comprendre ce qui est arrivé à ces deux jeunes amoureux et que les émotions qui les ont traversés, cette fièvre, cette clandestinité et cette ambiguïté qui étaient les leurs, singulièrement celle de Paul Darrigrand, il les comprenne et les approche. Je pense que l’écriture romanesque, ou la trahison du réel, c’est ce qui permet le mieux d’appréhender le réel. En tant que romancier, je ne voulais pas d’une vérité ennuyante dénuée d’émotion. J’avais envie de faire de “nous” des personnages de roman.

Auriez-vous pu écrire cette trilogie il y a trente ou vingt ans, à une époque où l’homosexualité devait se vivre en catimini car elle était honnie dans la société?

Ce n’est pas du tout une question d’époque. Mais force est d’admettre que le jeune homme que j’étais il y a vingt ans n’aurait pas pu écrire ces trois livres. Quand je me suis lancé en littérature au début des années 2000, j’avais uniquement envie d’inventer des histoires, de faire appel à mon imagination, de jouer avec la langue… Il y a un côté jubilation et jeu dans la littérature. Donc, l’idée de raconter la vérité ne m’effleurait pas du tout à ce moment-là. Par ailleurs, pour commettre cette trilogie sur mes amours clandestines, il fallait sans doute la distance du temps pour que je sache, pas que je puisse, raconter cette histoire très personnelle. À vingt ou trente ans, je n’avais pas encore les armes, les moyens ni les compétences pour le faire.

C’était une époque prédominée par des tabous où il était difficile d’afficher ouvertement son homosexualité.

Quand je suis arrivé dans l’univers de la littérature, on m’a posé la question de ma sexualité. J’y ai répondu tout de suite avec franchise. Je n’avais pas de raison de ne pas répondre sincèrement. Ma sexualité n’a jamais été un mystère public. Donc, je n’ai pas eu le sentiment de me dévoiler dans Arrête avec tes mensonges. Cependant, et là je vous rejoins, ce qui m’a frappé en écrivant ces trois livres, c’est qu’ils évoquent des amours vouées à la clandestinité à cause de l’époque. Dans Arrête avec tes mensonges, mon amoureux et moi avons vécu notre idylle à l’abri des regards. Cette histoire se déroule dans le milieu des années 80 en France, dans une petite ville de province. Nous ne pouvions pas vivre cette liaison amoureuse publiquement. Thomas y a mis un terme parce qu’il n’était pas capable de la vivre publiquement puisqu’il allait se marier. De la même manière, dans Un certain Paul Darrigrand, c’est aussi une histoire clandestine qui doit se jouer à l’abri des regards parce que Paul est marié. C’est clair que ces amours cachées ne doivent pas apparaître dans l’espace public. Malheureusement, vingt ou trente ans plus tard, la question de l’homophobie n’a toujours pas été réglée.

L’homophobie sévit toujours avec force dans de nombreux pays, y compris en France.

Ce qui est assez désolant, c’est de constater qu’il y a encore beaucoup de couples homosexuels qui sont contraints de vivre leur amour clandestinement ne pouvant pas l’assumer publiquement. Je vis dans un pays, la France, qui est supposé avoir fait beaucoup de progrès dans la lutte contre l’homophobie. Mais, il y a quatre ans, des centaines de milliers de Français ont défilé dans les rues pour dénoncer le mariage pour tous. Ils ont dit avec condescendance aux homosexuels qu’ils étaient “des êtres inférieurs qui n’avaient pas le droit de se marier parce que le mariage est un privilège réservé aux hétérosexuels”. On a même entendu lors de ces manifestations: “Puisqu’ils veulent se marier avec des hommes, qu’ils se marient avec des chiens”. Ces propos abjects n’ont pas été tenus en France il y a un siècle, mais il y a quatre ans. Des poches d’homophobie subsistent toujours. Heureusement, la jeunesse française est beaucoup plus ouverte d’esprit par rapport à la question de l’homosexualité et du mariage gai. Mais il reste des combats à mener dans ce domaine. Je ne me suis jamais considéré comme un écrivain militant soucieux de transmettre des messages explicites à travers ses écrits. Quand on est romancier, on est un vecteur d’émotion. Néanmoins, si derrière la petite musique émotionnelle qui émane de mes livres les lecteurs et lectrices entendent une espèce d’ode à l’ouverture d’esprit, je ne serais pas mécontent, mais ce n’était pas mon ambition initiale.

Votre dîner à Montréal est un moment invraisemblable qui revêt la forme d’un huis clos théâtral.

C’est la réalité, ça c’est vraiment passé comme ça. Ce dîner a bien eu lieu à Montréal. Le dialogue est très fidèle à la réalité. C’est vrai que c’était un dispositif surréaliste. Me retrouver face à mon ex-amant, à la femme de celui-ci et à mon nouveau compagnon paraît invraisemblable. Au cours de ce dîner, je me suis rendu compte que la géographie avait une grande importance parce qu’au fond ça voulait dire qu’on ne pouvait pas échapper au moment, ni au lieu. Le cadre où a eu lieu ce dîner ressemblait vraiment à un espace théâtral: unité de temps, de lieu et d’action. Quand vous ne pouvez pas échapper au lieu, il y a un moment, quand vous avez terminé de parler de la météo, de la situation politique… où vous êtes contraint d’en venir à la vérité intime. Tout d’un coup les choses cachées surgissent. C’est ce qui m’intéressait dans ce processus narratif. En même temps, ce qui est amusant, c’est qu’il y a les dits et aussi tous les non-dits: tout ce qui est sous-jacent, les allusions, les regards, les silences… qui ramènent les personnages à ce qu’ils ont été.

Vous écrivez à la page 13 de Dîner à Montréal: “J’entends le fracas du monde, le clapotis des péripéties mais rien ne s’accroche, rien ne demeure. J’écris des livres, je suis dans l’écriture, qui isole, qui retranche”. Vivez-vous totalement en retrait du monde ambiant?

Il y a chez moi une vraie schizophrénie du monde qui m’entoure que même mon éditeur ne comprend pas. Pourtant, je pense être un citoyen normal qui s’intéresse à l’actualité, à la chose publique, à la politique, aux convulsions sociales, aux soubresauts du monde et qui vote. Je lis les journaux tous les jours. Les hasards de la vie ont fait que j’ai fréquenté quelques hommes politiques. Mais je reconnais qu’il n’y a nulle trace de tout cela dans les vingt livres que j’ai écrits. On me le reproche souvent. Le fracas du monde ne me rattrape jamais quand j’écris. C’est comme une porte qui s’est fermée. Le dehors cesse alors d’exister. Je trouve que l’actualité est plutôt une matière pour un essai où un travail journalistique, mais pas pour la littérature.

En 2017, vous avez fait une incursion dans le monde politique qui vous a valu bien des déboires. Vous avez relaté la campagne présidentielle d’Emmanuel Macron dans un livre à forte saveur hagiographique, Un personnage de roman (Éditions Julliard). Regrettez-vous aujourd’hui cet épisode controversé de votre vie?

Je ne le regretterai jamais. J’ai connu Emmanuel Macron avant qu’il soit ministre et candidat à l’élection présidentielle française. J’ai pour lui et son épouse, Brigitte, de l’affection. J’ai noué avec eux quelque chose de fondamental qui s’appelle: de l’amitié. Je ne vais pas m’en excuser. Je les ai choisis, ils m’ont choisi, nous nous entendons bien. En 2017, Emmanuel Macron m’a demandé de l’accompagner quand il s’est lancé dans la campagne présidentielle. Une aventure qui me paraissait alors complètement folle. Je pensais qu’il n’avait aucune chance de gagner. Je m’étais dit alors que s’il remportait cette élection présidentielle, ce serait tellement inattendu que cette victoire revêterait des allures romanesques. Elle serait un défi aux probabilités et à l’entendement humain. J’ai écrit le récit de sa campagne présidentielle avec une sorte d’émerveillement, face à une histoire qui ne devait pas se produire et qui s’est pourtant produite. Vivre une campagne présidentielle de l’intérieur, c’est génial et très drôle par moments. Mais c’est aussi éreintant: les déplacements en voiture, les longs discours, les forêts de caméras… J’ai aimé le côté mouvementé, inédit, surprenant de cette campagne.

Peu de temps après avoir été élu président, Emmanuel Macron vous a nommé consul général de France à Los Angeles, un poste fortement convoité. Cette nomination a suscité un immense tollé qui vous a contraint à y renoncer.

Ma nomination a été très mal expliquée. Elle n’a pas été jugée sur le fond. À aucun moment on s’est demandé si j’étais compétent et si j’avais la légitimité pour assumer cette fonction. Souvent, le poste de consul général de France à Los Angeles a été occupé par des écrivains ou des personnalités provenant du sérail de la culture. Le dossier “Culture” est très important dans cette fonction consulaire. J’ai été attaqué avec une fougue inouïe. On a immédiatement conclu que je n’étais qu’un courtisan récompensé et qu’Emmanuel Macron était le fait du prince. On n’est jamais sorti de cette équation. Dès la première minute, c’était une affaire finie et perdue. Les réactions ont été extrêmement violentes. Il n’y a pas eu de débat sur le fond. À savoir, qu’est-ce qu’on attend d’un diplomate, d’un consul général? Est-ce qu’on n’a pas intérêt à aller chercher des profils différents, une personne qui connaît bien le milieu de la culture? Ces questions ont tout de suite été évacuées.

Depuis son élection en 2017, la cote de popularité d’Emmanuel Macron a sensiblement baissé. Très nombreux sont les Français qui lui reprochent d’être complètement déconnecté des dures réalités sociales auxquelles la France est confrontée.

Il y a des reproches qui sont parfaitement justifiés et d’autres qui ne le sont pas. Dans les reproches injustifiés: on ne peut pas lui faire grief d’avoir appliqué son programme politique. Avant son élection, Emmanuel Macron avait annoncé la couleur de celui-ci. Une fois élu, il fait ce qu’il a dit qu’il ferait. La réforme de l’impôt sur la fortune (ISF), la réforme des retraites, la réforme de la SNCF… étaient inscrites dans son programme. Il n’est pas en train de faire le contraire de ce qu’il a promis. Plusieurs de ses prédécesseurs n’ont jamais tenu leurs principales promesses électorales. Par exemple, en 1995, Jacques Chirac avait été élu sur la fracture sociale de la France. Mais, au bout de six mois, il a imposé aux Français une politique de rigueur. On reproche souvent aux hommes politiques de renier leurs promesses électorales. On ne peut pas adresser ce grief à Emmanuel Macron. Ma famille politique, c’est la gauche. Je considère qu’Emmanuel Macron est un président de centre-droit. Dans l’exercice du pouvoir, il est plus proche de Nicolas Sarkozy que de François Hollande.

En revanche, il y a des critiques à son endroit qui me semblent justifiées. Durant la première période de son mandat présidentiel, on a senti chez lui une forme de méconnaissance du pays réel. Il n’a jamais été un homme de terrain. Il n’a pas senti monter la coagulation des colères, ni vu la situation sociale se détériorer. Il a trop fait confiance à son intelligence. Il s’est dit: “La France se porte pas mal”. Il est vrai qu’il y a de la croissance, le chômage est en train de diminuer, les soins hospitaliers, la sécurité sociale, l’éducation sont toujours gratuits… Il était persuadé que la France et la majorité des Français allaient bien. Il a oublié qu’il y a toujours eu un hiatus en France: le pays peut aller bien, mais les Français peuvent ne pas aller bien. Il n’a pas senti ça. Après avoir commis des maladresses de langage, qui ont donné de lui une image d’arrogance et de distance à l’égard du peuple, la colère s’est cristallisée contre lui lors de l’émergence du mouvement social des gilets jaunes. Il a été pris de court par un tel niveau de colère et de contestations sociales. Les Français n’ont jamais oublié qu’ils ont coupé la tête du roi. Ils ont la fâcheuse habitude quelques mois après avoir élu un président pour cinq ans de le détester. Emmanuel Macron est dans une situation difficile dans l’absolu, mais celle-ci est beaucoup plus favorable quand on la compare à celle de ses prédécesseurs à la même période. Aujourd’hui, Emmanuel Macron trône sur un désert politique: la gauche a disparu, la droite a été totalement démolie. Le match se joue désormais entre lui et l’extrême droite. Il est debout sur un champ de ruines. Il a donc une grande chance d’être réélu en 2022.

En février 2019, quand les portraits de l’ancienne ministre et survivante de la Shoah, feue Simone Veil, dessinés sur des boîtes aux lettres ont été tagués, vous avez exprimé votre profonde colère et indignation sur les ondes de RCJ, la radio communautaire juive de Paris. Cette exaction antisémite vous a profondément révolté.

J’ai exprimé alors mon désarroi et ma colère. Face à l’antisémitisme, on sera toujours devant l’incompréhensible, l’inintelligible, la bêtise pure. À aucun moment, et d’aucune manière, l’antisémitisme ne peut se justifier. Qu’on en soit encore en 2019 à voir des actes antisémites abjects et cette violence incompréhensible, c’est une expression de la bêtise humaine insondable. Nous n’avons rien appris. À quoi nous a servi notre histoire? À quoi nous ont servi les terribles épreuves traversées au cours du sanglant XXe siècle? Face à cette haine immonde des Juifs, je suis désemparé. Mon esprit ne peut pas intégrer cette hideuse réalité. Ce jour-là, sur les ondes de RCJ, j’étais triste, je continue à l’être.

La recrudescence de l’antisémitisme en France ne va-t-elle pas de pair avec la crise socioéconomique qui sévit dans le pays ?

Certainement. Avec la détérioriation de la situation socioéconomique, les antisémites et les racistes de tout acabit exploitent cyniquement à fond la division profonde de la société française. Le repli sur soi oblige à détester l’Autre, celui qui est minoritaire. Le racisme exprimé aujourd’hui contre les Juifs, les Musulmans, les homosexuels a comme fondement le rejet de l’Autre, du minoritaire, dont on pense qu’il est en train d’usurper nos droits et qu’il a quelque chose qu’il ne devrait pas avoir. Certains n’hésitent pas à éructer sans vergogne: “L’histoire de France n’est pas leur histoire”. On reproche à l’”Autre qui ne nous ressemble pas” de ne pas être Blanc de souche, catholique, hétérosexuel… La volonté de pointer du doigt un bouc émissaire et de le désigner ensuite à la vindicte publique témoigne de quelque chose de pourri dans la société française. Quand une société se porte mal, cette volonté d’accuser les Juifs, les Musulmans, les Noirs, les homosexuels… rejaillit avec force.