‘Fémina’. Les femmes dans le judaïsme orthodoxe

Sociologue, féministe et passionnée d’Études juives, Sonia Sarah Lipsyc s’intéresse depuis plusieurs années à l’évolution du statut des femmes dans la Loi juive et, plus spécifiquement, au sein du judaïsme orthodoxe. Cette universitaire pratiquante se définit comme “une femme juive engagée qui souhaite être pleinement citoyenne dans son pays comme au sein de sa Communauté”.

Sonia Lipsyc a organisé en 2004, à Paris, un Colloque de réflexion, intitulé “Fémina”, qui a eu un grand retentissement, dont le principal but était de dresser l’état des lieux de la condition des femmes juives de France dans le judaïsme orthodoxe.

Le pendant québécois de “Fémina” se tiendra à Montréal les 14, 15 et 16 juin prochains dans le cadre du Festival Séfarad 2008, une manifestation culturelle organisée par la Communauté sépharade unifiée du Québec. Des conférencières de France et du Québec et des Rabbins montréalais participeront aux tables rondes prévues au programme de ce forum de réflexion et d’échanges.

Un des moments les plus marquants de “Fémina” version Québec sera sans doute le panel ayant pour thème: “Le divorce religieux”, qui se tiendra le 16 juin, à 21h, au Centre Segal. Les panélistes invités seront: le Rabbin David Banon, Juge au Tribunal rabbinique de Montréal et leader spirituel du Centre de Torah sépharade de Laval; l’avocate française Annie Dreyfus, spécialiste du Droit de la famille; l’universitaire française Janine Elkouby, première femme à siéger au Consistoire israélite du Bas-Rhin; l’universitaire montréalaise Norma Joseph, directrice du Département Femmes et Religion de l’Université Concordia; et Diane Sasson, directrice de l’Auberge Shalom de Montréal pour les femmes battues. Sonia Lipsyc sera la modératrice de ce panel.

Pour avoir des informations sur les autres tables rondes qui auront lieu dans le cadre de “Fémina”, consulter le Site Internet du Festival Séfarad 2008: www.sefarad.ca

D’après Sonia Lipsyc, que nous avons interviewée lors de son récent passage à Montréal, une “révolution féminine” est actuellement en cours dans le judaïsme orthodoxe, surtout en Israël et aux États-Unis. Cette “révolution inéluctable” commence aussi à faire des adeptes en France.

“On s’aperçoit que depuis une trentaine d’années aux États-Unis, et depuis une quinzaine d’années en Israël, de plus en plus de femmes orthodoxes veulent sortir de la place secondaire où le judaïsme orthodoxe les a confinées et avoir accès à l’étude du Talmud. Nous sommes déjà à la génération où des femmes juives non seulement étudient le Talmud, mais l’enseignent aussi.”

En France et au Canada, ajoute-t-elle, sait-on qu’il existe aujourd’hui en Israël des Toénot Rabbanyot, des femmes qui sont des avouées rabbiniques et qui accompagnent d’autres femmes devant les Tribunaux rabbiniques pour les aider à obtenir leur acte de divorce religieux, le guet? Sait-on qu’il existe aussi des Yoétsot Halakha, des conseillères en Loi juive à l’intérieur du judaïsme orthodoxe vers qui les femmes peuvent se tourner pour leur poser des questions portant sur la Halakha? Sait-on que dans certaines synagogues orthodoxes les femmes lisent la Méguilat Esther à Pourim, soit devant un public de femmes, comme à la synagogue Yedidya de Jérusalem, soit devant un public d’hommes et de femmes même s’ils sont séparés, comme à la synagogue Shira Hadasha de Jérusalem?

“Trop souvent, en France et au Canada, on ignore cette réalité ou on fait comme si elle n’existait pas”, dit Sonia Lipsyc.

De plus en plus de femmes orthodoxes mènent des combats homériques pour accéder également au leadership des institutions religieuses. Leah Shakdiel est entrée dans l’histoire constitutionnelle de l’État d’Israël en obtenant gain de cause devant la Cour suprême israélienne. Cette professeure orthodoxe est la première femme à siéger dans un Conseil municipal religieux en Israël. Une véritable révolution dans les milieux orthodoxes d’Israël. Leah Shakdiel sera l’une des conférencières invitées du Colloque “Fémina”, organisé dans le cadre du Festival Séfarad de Montréal.

“Il y a un point commun entre toutes ces femmes juives orthodoxes: elles mettent leur nez dans la Loi juive en connaissance de cause. Du coup, elles viennent apporter non pas une contradiction, mais un autre regard, pas de l’extérieur mais à l’intérieur des règles du jeu.”

Au cours de son voyage exploratoire à Montréal, où elle a essayé de dresser “un état des lieux informel” de la condition de la femme juive orthodoxe au Québec, Sonia Lipsyc a rencontré plusieurs femmes de notre Communauté, de même que des Rabbins.

Elle s’est beaucoup intéressée au type d’éducation juive que les filles reçoivent dans les établissements scolaires juifs de Montréal.

“Je voulais savoir si dans les lycées juifs de Montréal, les jeunes filles avaient accès à l’étude talmudique, ce qui n’est pas le cas en France. J’ai été très agréablement surprise. Oui, à Montréal, les filles peuvent, sans aucune contrainte, étudier le Talmud dans des écoles juives orthodoxes. C’est le cas à Hebrew Academy, une école qui se situe dans le courant moderne orthodoxe. Les jeunes filles ont accès à l’étude talmudique. C’est une différence flagrante avec la France, où les femmes se battent toujours pour avoir simplement accès à l’étude de la Michna.”

Le système d’enseignement de l’École Bialik l’a aussi fortement impressionnée. Elle qualifie l’approche pédagogique de Bialik de “différence positive” par rapport à l’enseignement des Études juives dispensé aux filles en France.

“Nous n’avons pas des écoles juives pluralistes en France. Or, l’École Bialik de Montréal est une école pluraliste. En France, les écoles juives sont orthodoxes. Quelqu’un qui n’appartient pas à l’orthodoxie, ou dont la pratique du judaïsme est simplement traditionaliste, ne peut pas enseigner dans une école juive le Kodesh, c’est-à-dire les matières juives.”

Par contre, Sonia Lipsyc a constaté l’absence à Montréal d’une institution d’Études juives pour les adultes, dans la lignée de certains établissements français enseignant les matières juives, comme le Collège d’Étude de l’Alliance Israélite Universelle ou l’Institut d’Étude Élie Wiesel, affilié au Centre Communautaire Juif de Paris.

“Je n’ai pas eu le temps d’évaluer ce qui existe du côté anglophone, notamment à l’Université McGill. Par contre, il y a un grand vide dans ce domaine-là dans la Communauté juive francophone de Montréal. Aujourd’hui, les Sépharades francophones ne peuvent fréquenter un cercle d’Études juives ou talmudiques que dans les synagogues. C’est très limité. La Communauté sépharade de Montréal devrait avoir un Institut supérieur d’Études juives”, recommande-t-elle fortement.

En ce qui a trait à l’épineuse question du guet, d’après Sonia Lipsyc, la décision très attendue rendue en décembre 2007 par la Cour suprême du Canada dans un litige qui posait la question à savoir si un Tribunal civil pouvait octroyer des dommages et intérêts pour sanctionner le défaut de respecter un engagement civil d’accorder un divorce juif constitue “une brèche” qui, selon elle, aura indéniablement des “incidences positives” sur la question du guet. Dans sa décision, la Cour suprême du Canada a décidé que la violation d’une obligation faisant partie d’un contrat civil peut être sanctionnée même si cette obligation est de  nature “religieuse”.

“Face à la question du guet, les Rabbins sont impuissants. Ils savent pertinemment qu’il faut prendre une initiative concernant le guet. Tout au long des siècles, ça a fait partie des responsabilités des Hachamim, des Sages d’Israël. La Halakha nous donne cette possibilité, personne ne le contestera. Ceux qui ne cessent de claironner que la Halakha, la Loi juive, est “un rocher inébranlable et immuable”, sont dans l’erreur! C’est un mythe tenace. C’est une grande méconnaissance du judaïsme. En effet, n’importe quel Rabbin vous dira qu’il y a dans la Loi juive des possibilités, des marges de manoeuvre. Mais, pour procéder au moindre changement, il faut absolument qu’il y ait un consensus entre les Rabbins. Un Rabbin ne prendra jamais seul une initiative aussi capitale. Or, malheureusement, il y a toujours un manque de consensus entre les Rabbins.”

Comme ils ne parviennent pas à se mettre d’accord sur le guet, poursuit Sonia Lipsyc, les Rabbins, aussi bien au Canada qu’en France, sont “soulagés, malgré leurs réserves” par la décision rendue dernièrement sur cette question par le plus haut Tribunal du Canada.

“Les Rabbins pourront désormais s’appuyer sur la loi civile pour essayer de convaincre un homme de donner le guet à sa femme. Dans ce dossier sulfureux, la loi civile ne pourra plus être éludée. Si un homme bat sa femme au nom du Coran, il est judiciable, on peut le traîner devant les tribunaux. Dorénavant, la même chose arrivera à l’homme qui refusera de concéder le guet à son épouse.”

Fémina, a symposium first organized in 2004 in France by Orthodox Jewish feminist Sonia Sarah Lipsyc, will be part of Festival Séfarade 2008 June 14-16. In an interview, Lipsyc talks about some of the issues to be covered.