Le combat des femmes juives pour le Guet

Le Guet -divorce religieux dans le judaïsme- a été le thème central d’une table ronde qui a eu lieu dans le cadre du Festival Séfarad de Montréal 2008. Une manifestation culturelle organisée annuellement par la Communauté sépharade unifiée du Québec.

Le panel sur le Guet organisé dans le cadre du Festival Séfarad de Montréal 2008. De gauche à droite: le Rabbin David Banon, Janine Elkouby, Evelyn Brook, Annie Dreyfus, Sonia Lipsyc, la modératrice, et Diane Sasson.                    [Photo: Edmond Silber]

Pour l’avocate franco-israélienne Annie Dreyfus, spécialiste reconnue des droits de la famille et fondatrice du Centre de Formation des droits des femmes de France, le Guet est une disposition halakhique “des plus inéquitables”.

“Si l’épouse refuse de consentir au Guet, cela ne gêne pas beaucoup le mari puisqu’il peut en général se remarier religieusement. C’est possible chez les Juifs sépharades. Chez les Ashkénazes,  le refus d’accepter le Guet de la part de la femme peut être remplacé par une autorisation de mariage rabbinique en recueillant cent signatures de Rabbins. Par contre, la femme ne peut absolument pas se remarier religieusement. C’est dramatique parce que si elle a une relation avec un autre homme, elle devient alors adultérine et ses enfants mamzérim -des bâtards- pendant plusieurs générations”, expliqua Annie Dreyfus.

Le plus grand problème, ajouta-t-elle, est que dans le cas de refus de donner le Guet, les époux monnayent souvent l’octroi du Guet contre un avantage matériel: une renonciation à une pension alimentaire, un abandon d’appartement…

“Ce type d’accord est nul devant les tribunaux français pour cause illicite. Ça veut dire qu’en cas de partage judiciaire civil des biens après un divorce civil, une épouse qui a renoncé à sa part de bien pour obtenir son Guet pourrait redemander sa part de bien devant un tribunal civil. En France, les recours sont d’ordre judiciaire. Malgré la séparation entre l’Église et l’État, les tribunaux français peuvent s’immiscer dans ce problème en condamnant, par le biais de l’intention de nuire, le mari récalcitrant à donner le Guet à sa femme à payer des dommages et intérêts -une somme d’argent globale- ou à une astreinte -une somme d’argent par jour de retard jusqu’à l’obtention du Guet. Cette jurisprudence a commencé à s’étendre dans d’autres pays. En Israël, des mesures judiciaires de coercition à l’endroit d’un époux refusant de donner le Guet ont commencé aussi à être adoptées: interdiction de sortir du pays, blocage des comptes en banque… et même l’emprisonnement. Il y a un certain nombre de progrès, mais pas assez”, précisa Annie Dreyfus.

Le Guet est une loi édictée par la Torah qui ne peut pas être modifiée mais qui, dans certaines situations, peut être l’objet d’amendements, rappela le Rabbin David Banon, Juge au Tribunal Rabbinique de Montréal, où il est en charge des dossiers de divorces.

“On ne peut pas parler de réformes, mais il y a des cas d’amendement, où effectivement les Rabbins ont trouvé des ouvertures, tout en restant dans le contexte de la Halakha. Nos Rabbanim au Maroc, depuis le temps des Mégorashim de Castille, il y a plus de cinq siècles, ont écrit très clairement dans leur Kettouba -c’est la Kettouba que nous utilisons dans la Communauté sépharade de Montréal- que si l’époux transgresse et ne respecte pas son épouse, pas seulement s’il veut la divorcer, il doit la dédommager et lui payer la somme qui est inscrite sur la Kettouba. D’après la Torah, en aucun cas un homme n’a le droit de violenter sa femme, ni par la violence verbale, ni par la violence physique, ni par la violence morale. La violence contre une femme, c’est un cas flagrant de Guet. Nos Rabbanim étaient déjà à l’avant-garde.”

D’après le Rabbin David Banon, le Guet est une “porte de sortie” pour un couple qui ne peut plus vivre sous le même toit.

“De nos jours, nous devons être très réalistes. Il ne faut pas avoir peur de briser des fiançailles ou d’annuler un mariage une semaine avant sa célébration. Il ne faut pas avoir peur de dire au couple que si le mariage ne fonctionne pas, le Guet est une porte de sortie. Lorsque le Hatan s’engage devant les témoins en présencence d’un Rav et qu’il doit faire kabalat kiniam, c’est-à-dire un acte solennel devant les témoins comme quoi il s’engage à respecter toutes les conditions énoncées dans la Kettouba, on lui précise très explicitement que si le mariage ne marche pas, il doit s’engager à donner le Guet à son épouse.”

Pour Evelyn Brook, membre très active de la Coalition canadienne des femmes juives pour le Guet, les Rabbins doivent absolument se mobiliser pour aider les femmes à obtenir leur Guet. Pour cela, elle exhorte les Rabbins à ne pas hésiter à adopter des mesures coercitives contre les époux qui refusent d’octroyer le Guet.

“Si un mari refuse de donner le Guet à sa femme, un Rabbin a le droit et la responsabilité morale de l’excommunier du cadre synagogal ou communautaire. Le Rabbin doit demander à la Communauté de ne pas l’inviter à la célébration du Shabbat ou des fêtes juives, de ne pas faire des affaires avec lui… Les Rabbins pourraient demander aussi aux organisations communautaires de l’exclure de celles-ci en annulant ses memberships. Un homme qui refuse de donner le Guet à sa femme ne devrait pas occuper des positions bénévoles de leadership dans des organisations communautaires juives. C’est inacceptable que des Rabbins passent sous silence les moqueries et les abus ignobles d’hommes dont le divorce civil a été prononcé et qui refusent catégoriquement de concéder le Guet à leur épouse.”

D’après Diane Sasson, directrice de l’Auberge Shalom, un organisme qui accueille et héberge des femmes battues, le Guet est très souvent utilisé par le mari comme “un instrument de contrôle” sur sa femme.

“Dans les cas de violence conjugale, l’époux décide souvent de ne pas accorder le Guet. C’est une forme d’abus intolérable spécifique à la Communauté juive. La femme devient alors une Aguna, toujours soumise à son mari par les liens du mariage religieux. Même si le divorce civil a été prononcé, elle ne peut pas se remarier religieusement.”

L’appui des Rabbins dans les démarches entreprises par une femme Aguna est “indispensable et précieux”, croit Diane Sasson.

“Le Rabbin joue un rôle central dans ces démarches parce qu’il peut souvent influencer le mari et le convaincre d’accorder le Guet à son épouse. Heureusement, aujourd’hui, de plus en plus de Rabbins sont prêts à aider des femmes aux prises avec le problème du divorce religieux. Le Beth Din accepte de travailler étroitement avec nous pour faciliter les démarches des femmes Agunot hébergées à l’Auberge Shalom. C’est une aide précieuse, mais il reste encore beaucoup de travail à faire pour améliorer le système et faciliter la procédure du divorce religieux juif.”

Pour Diane Sasson, il est impératif que les Rabbins appuient les femmes Agunot.

“N’est-ce pas une obligation religieuse de limiter les souffrances de ces femmes aux abois, ne doit-on pas montrer envers elles compassion et empathie? Nous avons remarqué que ces femmes qui aimaient leur Communauté, qui suivaient et respectaient leur religion, commencent à rejeter cette religion, qui a nourri leur être, mais qui ne les soutient plus. Il arrive un moment où des femmes hébergées à l’Auberge Shalom ne se soucient plus du Guet ou de tout autre aspect du judaïsme. Elles abandonnent et perdent leur espoir. Il est vrai que nous essayons de sauvegarder les valeurs fondamentales juives, mais nous abandonnons aussi des femmes et des enfants, qui perdent tout espoir dans le judaïsme.”

Janine Elkouby, première femme à siéger au Consistoire israélite du Bas-Rhin, proposa un certain nombre de mesures, qu’elle qualifie d’“empiriques”, pour composer avec la problématique du Guet.

Dans des pays anglo-saxons, c’est le cas en Angleterre, des femmes se mobilisent et désignent publiquement du doigt des hommes qui refusent de donner le Guet. Il y a quelques années, à Londres, des femmes orthodoxes ont organisé des manifestastions silencieuses devant le restaurant d’un homme qui refusait de donner le Guet. Ce dernier a fini par céder après plusieurs semaines de pressions intensives.

“Nous avons des possibilités d’action dès lors que les femmes et les hommes indignés par l’attitude ignoble d’hommes refusant de donner le divorce religieux à leur femme se solidarisent et imaginent des méthodes ou des moyens de rendre public ce comportement misogyne. Ce qui conforte les hommes dans des positions de ce genre, c’est le secret qui entoure ce type de situation sinistre. Les Rabbins et l’establishment communautaire doivent aussi assumer leurs responsabilités dans cette affaire”, a dit Janine Elkouby.

Ce panel a été animé par la sociologue Sonia Sarah Lipsyc, organisatrice du Colloque “Fémina”, qui s’est tenu dans le cadre du Festival Séfarad 2008.  


At a round table during Festival Séfarade de Montréal 2008, a panel discussed the issues that arise when a man refuses to grant his wife a get, a religious Jewish divorce.