L’U.Q.A.M. rend hommage au sociologue Elihu Katz

L’Université du Québec à Montréal (U.Q.A.M.) a rendu un vibrant hommage à l’une des figures les plus marquantes dans le champ des Études de la Communication, le réputé sociologue israélo-américain Elihu Katz, 84 ans.

Distinguished Trustee Professor à la Annenberg School for Communication de l’Université de Pennsylvanie, professeur émérite de Sociologie et de Communication à l’Université Hébraïque de Jérusalem et Research Fellow au Centre Guttman du Israel Democracy Institute de Jérusalem, Elihu Katz est l’auteur d’une vingtaine d’ouvrages très remarqués -plusieurs coécrits avec des universitaires renommés, dont les célèbres sociologues américains Paul Lazarsfeld et Herbert Menzel- et de quelque 170 études scientifiques sur les principaux aspects de la Communication.

Fondateur de la Télévision israélienne à la fin des années 60, sa contribution au Groupe de travail chargé d’introduire la radiodiffusion sur le territoire israélien l’a conduit à s’associer à des travaux d’éva­lua­tion du rôle de la Télévision dans plusieurs pays en voie de dé­ve­loppe­ment. Au milieu des années 70, inspiré par l’initiative de paix du président égyptien, Anouar el-Sadate, à l’endroit d’Israël, il s’associe à un éminent spécialiste israélien des Communications, Daniel Dayan, pour circonscrire la problématique des Media Events, c’est-à-dire la diffusion médiatique d’événements à caractère historique qui captivent de larges audiences. Quelques années plus tard, il s’intéresse avec sa collègue Tamar Liebes, professeure à l’Université Hébraïque de Jérusalem, aux différences de perception et d’interprétation de la culture populaire américaine, à travers le célèbre téléfeuilleton Dallas, dans des groupes d’ori­gines ethniques diverses vivant en Israël.

Ayant consacré sa carrière aca­dé­mique à l’Étude de la Communication, Elihu Katz s’est intéressé à une foule de sujets, notamment à la diffusion d’idées et d’innovations dans le monde médical et, ce faisant, a initié une tradition de recherche dans le domaine de la diffusion des innovations.

En Israël, il a été l’un des pionniers des Études sur les opinions publiques. Ce qui l’a amené à développer avec un autre grand spécialiste du monde des Communications, le professeur Michael Gurevitch, un modèle d’étude du processus de persuasion appelé Uses and Gratifications Theory.

Elihu Katz a été le récipiendaire de nombreux Doctorats honorifiques et le lauréat, en 1987, du prestigieux Prix McLuhan Téléglobe Canada, décerné par la Commission canadienne de l’U.N.E.S.CO. Ce Prix est octroyé à des chercheurs s’étant particulièrement distingués par leur contribution déterminante à la compréhension de l’influence des médias et des technologies de la Communication sur nos sociétés.

L’U.Q.A.M. a décerné un Doctorat Honoris Causa à cet universitaire renommé pour “la qualité exceptionnelle de sa contribution scientifique dans plusieurs domaines des Sciences sociales, notamment la Socio­logie, les Communications, la Science politique, la Gestion des Ressources humaines et le Marketing” et pour “la vitalité et l’ori­gi­na­li­té de ses travaux universitaires et leur rayonnement dans le domaine spécifique des Communications”. Par ailleurs, la Faculté de Communication, l’École des Médias et le Département de Communication sociale et publique de l’U.Q.A.M. a organisé un Symposium sur l’oeuvre académique très proli­fique d’Elihu Katz, qui a porté sur l’analyse et la critique de deux ouvrages majeurs de cet illustre universitaire: Personal Influence, coécrit avec Paul Lazarsfeld, et Media Events, coécrit avec Daniel Dayan.

Yoram Elron, Consul général d’Israël à Montréal, et Lee McClenny, Consul général des États-Unis à Montréal, ont assisté à la cérémonie universitaire honorifique que l’U.Q.A.M. a dédiée à Elihu Katz.

Au cours de l’entrevue qu’il a accordée au Canadian Jewish News, Elihu Katz nous a livré ses impressions sur l’état des médias en Israël et les enjeux de la Communication dans le conflit israélo-palestinien à l’ère des hautes technologies.

Canadian Jewish News: La création de la Télévision israélienne, un ambitieux projet dans lequel vous avez joué un rôle déterminant, fut une aventure in­vrai­sem­blable qui eut un impact énorme sur la société israélienne.

Elihu Katz: Après la Guerre des Six Jours de 1967, le gouvernement israélien de l’époque me confia l’urgente et ardue tâche de créer une Télévision nationale. Presque vingt ans après la fondation de l’État d’Israël, le pays ne s’était pas encore doté d’un réseau structuré de télédiffusion. C’était une grande lacune qu’il était temps de combler car tous les États arabes limitrophes d’Israël possédaient déjà une Télévision d’État. Jusque-là, il n’y avait en Israël que des programmes de télévision éducatifs, diffusés dans les écoles, parrainés par la Famille Rothschild. Il faut rappeler que du début des années 50 jusqu’en 1967, un débat houleux sur cette question a fait rage dans les milieux politiques israéliens.

David Ben Gourion était farouchement opposé à la création d’un réseau de Télévision national. Le père fondateur de l’État hébreu était résolument convaincu que la Télévision, qui à ses yeux était synonyme de dépravation et de décadence, entraverait la renaissance de la langue et de la culture hébraïques, introduirait un matérialisme débridé dans la société israélienne, prônerait l’ido­lâ­trie, flétrirait les valeurs juives… Après la Guerre des Six Jours, les leaders politiques israéliens prirent conscience de la nécessité de créer une Télévision d’État pour s’adresser surtout, en langue arabe, au million d’Arabes qui vivaient dans les Territoires de la Cisjordanie et de Gaza que Tsahal venait d’occuper. Au début, certains suggérèrent même que la programmation en langue arabe soit plus importante que la programmation en hébreu. Cette proposition fut rapidement récusée par une majorité d’Israéliens. J’ai relaté cette aventure épique dans un livre intitulé Television comes to the People of the Book.

C.J.N.: Au niveau médiatique, Israël est contraint de se battre quotidiennement pour justifier ses politiques, et même pour faire valoir son droit à l’existence. Cet inlassable combat médiatique semble chaque jour plus difficile pour Israël.

Elihu Katz: Israël a perdu depuis longtemps la guerre dans le champ médiatique. Surtout à partir de la guerre israélo-arabe de 1967, quand Tsahal a conquis des Territoires peuplés par plus de 1 million d’Arabes palestiniens. Depuis, l’image rayonnante d’un État d’Israël vaillant entouré par des millions d’ennemis Arabes résolus à l’annihiler a cédé progressivement la place à une image d’Israël moins reluisante: une puissance coloniale qui opprime les Palestiniens. Ce changement radical de l’image d’Israël, qui au fil des années s’est opéré dans les pays du Tiers-Monde et aussi dans le monde occidental, nourrit aujourd’hui l’antisionisme échevelé des médias internationaux. Face à ce phénomène inéluctable, Israël paraît impuissant. La multiplication des sources d’information, avec l’émergence d’Internet et de ses corollaires -FaceBook, Twitter…- rend pour les Israéliens la bataille cruciale des médias encore plus ardue. Aujourd’hui, l’information relayée par Internet cause des dommages dévastateurs à l’image d’Israël dans le monde.

C.J.N.: Nombreux sont ceux qui reprochent au gouvernement d’Israël de relayer une Hasbara -campagnes d’informations- inefficace et lacunaire. Partagez-vous ce point de vue?

Elihu Katz: Ne soyons pas naïfs! La Hasbara n’est pas la panacée miracle qui permettra à Israël d’améliorer son image à l’échelle mondiale. Aujourd’hui, Israël est certainement le pays comptant sur son territoire le plus grand nombre de journalistes étrangers, qui couvrent le conflit israélo-palestinien à partir de Jérusalem ou Tel-Aviv. Dans les années 60, 70 et même 80, les correspondants de la presse étrangère en Israël ne se limitaient pas, comme c’est malheureusement le cas aujourd’hui, à couvrir uniquement les dimensions politiques et militaires du conflit israélo-palestinien. Ces derniers couvraient jadis régulièrement divers aspects, fort méconnus, d’Israël: ses prouesses dans le domaine agricole, ses découvertes scientifiques et médicales majeures, sa riche culture, sa littérature très novatrice… Dans le passé, la couverture journalistique assurée par les médias étrangers sis en Israël était beaucoup plus multidimensionnelle. Si j’étais en charge de la Hasbara israélienne, mon principal souci ne serait pas d’amé­lio­rer rapidement l’image, mal en point, d’Israël dans les quatre coins du monde, mais de convaincre les journa­listes étrangers attendant la prochaine crise politique ou la prochaine bombe d’écrire des articles de fond sur des sujets autres que l’interminable conflit israélo-palestinien. C’est une grande gageure!

C.J.N.: Quel regard portez-vous sur la presse israélienne d’aujourd’hui?

Elihu Katz: Durant l’époque du Yichouv -les premières Communautés juives qui se sont établies en Palestine- et les premières années de l’existence de l’État d’Israël, les principaux journaux du pays étaient affiliés à des partis politiques: le journal Hamishmar était alors sous la houlette du mouvement Mapam de gauche, le défunt journal Davar était l’organe de presse officiel du Parti Travailliste, le Maariv défendait avec fougue les idées prônées par les partis politiques de droite… Pendant les années de lutte pour la création d’un État juif, tous les journaux hébraïques publiés dans la Palestine mandataire défendaient ardemment les idées préconisées par le mouvement sioniste. Après la création de l’État d’Israël, les principaux journaux devinrent beaucoup plus critiques envers le gouvernement au pouvoir, y compris quand celui-ci était formé par le parti auquel certains périodiques étaient affiliés. Ce furent les belles années du journalisme israélien. Dans les années 70, 80 et jusqu’aux années 90, les journaux israéliens pratiquaient sans ambages un journalisme neutre, très critique des grands partis politiques, notamment le Parti Travailliste et le Likoud. Aujourd’hui, on assiste impavides au retour d’une politisation des médias israéliens. Par exemple, le grand quotidien Yedioth Ahronoth a une ligne éditoriale anti-Netanyahou alors que le quotidien à fort tirage Israel Hayom est très pro-Netanyahou.

The Université du Québec à Mont­réal recently honoured Israeli-American sociologist Elihu Katz with an honorary degree for his contribution to the the field of social sciences, especially communication.