‘Le Judaïsme au Maroc n’est pas moribond’

CASABLANCA, Maroc — Des leaders juifs marocains d’Israël, de France, d’Europe, du Canada… se sont donné rendez-vous à Casablanca pour participer à un grand Colloque ayant pour thème: “Le Judaïsme marocain contemporain et le Maroc de demain”. Ce Forum de réflexion sur les perspectives d’avenir du Judaïsme marocain a été organisé dans le cadre des manifestations marquant le 1200ème anniversaire de la fondation de la ville de Fès.

Serge Berdugo, Secrétaire général des Communautés israélites du Maroc et ex-Ministre du Tourisme du Maroc, nommé récemment Ambassadeur itinérant par le roi Mohammed VI, nous a accordé une entrevue en marge de ce Colloque international.

“Le Judaïsme au Maroc est en plein essor. Les jeunes Juifs reviennent vivre au Maroc”, nous a dit au cours de cet entretien ce leader communautaire très optimiste et résolu.

Canadian Jewish News: Quel est le principal but de ce Colloque consacré au Judaïsme marocain?

Serge Berdugo: Ce Colloque servira à marquer le territoire de la Communauté juive marocaine dans le passé, dans le présent et dans l’avenir. C’est-à-dire, montrer que nous, Juifs marocains, sommes toujours présents au Maroc parce que tout le monde veut au Maroc que nous soyons présents. Il y a une véritable volonté de maintenir vivants les liens entre les Juifs marocains et le Maroc.

Beaucoup de Marocains musulmans ne comprennent toujours pas pourquoi les Juifs sont partis? “Mais qu’est-ce qu’on vous a fait?”, nous demandent-ils souvent. On leur dit la vérité parce qu’aujourd’hui au Maroc on n’est plus au stade de cacher quoi que soit. On dit désormais sans ambages les pourquoi et les comment. C’est vrai que dans le passé des campagnes d’intimidation ont été menées contre les Juifs marocains. S’il est vrai que le pire n’est pas arrivé et qu’il n’y a pas eu de véritable point d’ancrage de la terreur ou de la spoliation, il y a eu des périodes où l’ambiance régnante a incité des Juifs à quitter le Maroc. Mais, ce que j’ai remarqué dans les pays où les Juifs marocains se sont installés, c’est que ces derniers n’ont pas réellement le sentiment qu’il s’est passé au Maroc quelque chose d’irrémédiable. La grande majorité des Juifs marocains vivant aujourd’hui en Israël et dans d’autres contrées ont une attitude et une approche plutôt favorables à l’endroit du Maroc.

C.J.N.: Donc, selon vous, les perspectives d’avenir du Judaïsme au Maroc sont plutôt prometteuses.

S. Berdugo: Absolument. Aujourd’hui, le Judaïsme marocain retrouve sans complexes ses vraies valeurs et ses traditions ancestrales, dont les racines sont solidement ancrées dans le terreau national marocain. Cela se vérifie partout dans le monde, de Caracas à Montréal, de Tel-Aviv à Amsterdam, de Paris à Casablanca… Dans les quatre coins du monde, des manifestations, qui connaissent un succès retentissant, célèbrent la culture et les valeurs des Juifs marocains -Quinzaine du Judaïsme marocain, organisée en 2007 par le Centre Communautaire de Paris, la Semaine culturelle du Judaïsme, qui a eu lieu à Caracas en 2006…

Partout, des universitaires, des chercheurs, des leaders communautaires, des hommes politiques, des artistes… affichent avec fierté leur marocanité, leur affection pour le roi du Maroc, leur respect pour le peuple marocain et leur solidarité avec leur pays d’origine. C’est une des raisons pour lesquelles les Juifs qui sont restés au Maroc, malgré leur nombre réduit, ne se considèrent pas comme les membres d’une Communauté résiduelle, mais comme les tenants d’une Communauté matricielle gardienne du Patrimoine culturel et civilisationnel d’un Judaïsme marocain toujours très vivace.

C.J.N.: Mais assurer une pérennité au Judaïsme marocain dans un pays où il ne reste que quelque 2500 Juifs, n’est-ce pas une grande gageure?

S. Berdugo: Ça, c’est une fable! Le chiffre de 2500 que vous avancez est faux! 800 élèves sont scolarisés dans les écoles juives du Maroc. Faites donc un court calcul d’arithmétique! Je n’ai pas envie de débattre de statistiques. Mais, je peux vous assurer que la Communauté juive du Maroc compte aujourd’hui au moins 4500 personnes. Je vais vous surprendre en vous disant que cette Communauté ne diminue pas en nombre mais, au contraire, elle croît. À Kippour, à la Synagogue David Amelekh de Casablanca, j’ai été effaré quand j’ai constaté que la moyenne d’âge des membres du Kahal était de 20 ans. Il y avait beaucoup de jeunes et d’enfants. Il y a des jeunes couples juifs qui reviennent vivre au Maroc pour des raisons économiques. Chose certaine, la Communauté juive du Maroc ne périclite pas.

C.J.N.: Il est quand même difficile de croire que la Communauté juive du Maroc connaît aujourd’hui un grand essor.

S. Berdugo: Notre Communauté est loin d’être moribonde. La vie communautaire juive au Maroc fonctionne normalement. Nos institutions héritées du passé fonctionnent aussi bien, voire mieux, que naguère. Par exemple, la Communauté juive de Casablanca dispose de services sociaux, caritatifs et cultuels exemplaires; d’une vingtaine de Synagogues, dont celle de David Amelekh, créée en 2002; d’une maison de retraite, où sont prodigués des soins médicaux; d’un Service hospitalier de proximité (O.S.E.); d’un Club sportif (S.O.C.); d’un Centre pour la Jeunesse (D.E.J.J.) avec une Section de scouts; d’un Musée du Judaïsme marocain; de dix boucheries, trois pâtisseries et trois traiteurs casher; d’un Kollel; de trois réseaux scolaires de haut niveau, dont deux établissements qui comptent 25% d’élèves Musulmans qui apprennent l’hébreu; de Tribunaux rabbiniques, qui rendent des jugements au nom du roi du Maroc… Cet inventaire à la Prévert témoigne de la grande vivacité de notre Communauté.

C.J.N.: Le Maroc n’a pas été épargné par l’islamisme radical. Ce courant religieux délétère et foncièrement judéophobe inquiète-t-il les Juifs vivant au Maroc?

S. Berdugo: La sulfureuse question de l’islamisme inquiète d’abord et avant tout les Musulmans. En effet, la principale cible des islamistes n’est pas les Juifs mais les Musulmans marocains. 15% de la population marocaine veut changer les règles du Maroc démocratique afin d’instaurer un régime étranger à l’islam traditionnel marocain. Dans ce contexte, il est évident que nous, Juifs, sommes partie prenante dans le combat mené par nos concitoyens Musulmans pour endiguer l’intégrisme islamique. Ce qui est différent par rapport à la situation qui prévaut dans les autres pays arabo-musulmans, c’est que les Juifs se sentent épaulés et confortés par leurs concitoyens Musulmans.

Après les attentats perpétrés en 2003 à Casablanca par des terroristes islamistes, la première chose que les Musulmans ont dit aux Juifs a été: “Vous n’allez pas partir, on a besoin de vous, nous vous prions de rester avec nous”. En fait, pour les Marocains musulmans, “Communauté juive”, ça veut dire “caution”, ça veut dire “on est le même pays”. Le Maroc est un pays ouvert qui accueille tout le monde. C’est une nation qui sous la gouverne du roi Mohammed VI essaye par tous les moyens de prendre le chemin de la liberté, de la démocratie, de la reconnaissance des droits humains. Les Juifs sont un élément crucial, un pôle majeur dans le paysage social marocain. Le roi Mohammed VI ne cesse de nous le rappeler en multipliant les gestes de sollicitude envers les Juifs marocains. Le souverain a octroyé dernièrement la plus haute distinction royale à deux grandes personnalités juives marocaines: le Grand Rabbin de Paris, David Messas, et  Yehuda Lancry, ancien Ambassadeur d’Israël en France et à l’O.N.U. Le roi a aussi nommé trois Juifs originaires du Maroc au Conseil consultatif de la Communauté marocaine à l’étranger (C.C.M.E.).

C.J.N.: Le conflit israélo-palestinien n’altère-t-il pas souvent les relations entre Musulmans et Juifs marocains?

S. Berdugo: En ce qui a trait à l’épineux dossier israélo-palestinien, les Marocains sont déçus parce qu’ils pensaient qu’ils avaient fait sous feu le roi Hasan II des avancées énormes qui, croyaient-ils, allaient favoriser une véritable possibilité de paix entre Israéliens et Palestiniens. Mais, quand ils ont vu que les choses se sont grandement dégradées, ils ont commencé à déchanter. Puis, les images fortes et désastreuses d’Aljazira provenant des Territoires palestiniens ont exacerbé les passions.

Il ne faut pas se leurrer! Les Marocains sont des grands défenseurs des Palestiniens. Ils veulent que les Palestiniens aient un pays indépendant et que leurs droits soient respectés. Aujourd’hui, 50% des Israéliens pensent la même chose. Jusqu’à présent, le conflit israélo-palestinien n’a pas pollué les relations entre Juifs et Musulmans marocains. La position des Marocains est tout à fait normale: soutien inconditionnel au peuple palestinien.

Même les militants marocains les plus fervents de la cause palestinienne savent établir une différence entre le conflit politique qui sévit au Proche-Orient et les relations judéo-musulmanes. Au Maroc, quand il y a un conflit au Proche-Orient, on ne met pas de l’huile sur le feu, on laisse que les choses se tassent. Le peuple et le gouvernement marocains croient résolument que, malgré la fausse image que l’on tente de leur coller, les Juifs marocains en Israël ont un rôle majeur à jouer dans la restauration de la confiance entre Israéliens et Palestiniens. Ils sont convaincus que le moment venu, les Juifs originaires du Maroc seront très actifs et efficaces dans le difficile dossier de la paix israélo-arabe.

C.J.N.: Avez-vous un message à transmettre aux Juifs marocains vivant à l’extérieur du Maroc?

S. Berdugo: Je tiens à leur dire que le Maroc et sa Communauté juive ont besoin de tous les Juifs marocains vivant à l’étranger. Les quelque 4500 Juifs résidant au Maroc ne peuvent pas gérer seuls des centaines de milliers de tombes, des dizaines de Synagogues éparpillées à travers le pays… Nous n’avons pas besoin de leur argent. Nous avons urgemment besoin de leur mobilisation, de leur présence physique au Maroc, de leur know how, de leurs potentialités. Les Juifs du Maroc sont les gardiens d’un merveilleux Patrimoine, plusieurs fois millénaire, qui appartient à tous les Juifs marocains, où qu’ils se trouvent. Les Juifs marocains en Israël et dans les pays occidentaux sont des Ambassadeurs, dans le sens très large du terme. Comme le disait justement feu le roi Hassan II: “Lorsqu’un Juif s’expatrie, le Maroc perd un résident mais il gagne un Ambassadeur”.

Les Juifs marocains participent à la bonne image du Maroc. Leur réussite, c’est notre réussite. Quand un Juif marocain réussit à l’étranger, que ce soit le comédien Gad Elmaleh ou Sidney Toledano, président mondial de Christian Dior… tous les Marocains, qu’ils soient Juifs ou Musulmans, bénéficient de l’aura que ces réussites éclatantes confèrent à leur pays.


In an interview, Serge Berdugo, secretary general of the Communautés israélites du Maroc and former minister of tourism of Morocco, says the quality of life is good for Jews in his country.