Les Juifs de France à l’heure de la Présidentielle

Gilles-William Goldnadel

Le triomphe fortement annoncé des Socialistes français aux élections présidentielles du 6 mai prochain n’augure pas de beaux jours pour les Juifs de France, affirme en entre­vue une personnalité flamboyante et très médiatique de la Communauté juive française, l’avocat pénaliste et ­essayiste Gilles-William Goldnadel.

Président fondateur de l’Association Avocats sans Frontières, Président de l’Association France-Israël et membre du Comité directeur du Conseil Représentatif des Institutions Juives de France (C.R.I.F.) -Instance représentative politique de la Communauté juive de France-, Gilles-William Goldnadel est un défenseur invétéré de l’État d’Israël et un militant opiniâtre de la liberté et des Droits de l’Homme.

Dans son dernier livre, Le vieil homme m’indigne! Les postures et impostures de Stéphane Hessel (Éditions Jean-Claude Gawsewitch, 2012), Gilles-William Goldnadel met en charpie avec brio les thèses fallacieuses sur Israël et le conflit israélo-palestinien martelées par l’activiste altermondialiste, férocement anti-israélien, Stéphane Hessel, auteur du best-seller international Indignez-vous!

Entretien avec un Tribun truculent horripilé par la “langue de bois” et le “politiquement correct”.

Canadian Jewish News: La Communauté juive de France appréhende-t-elle le retour des Socialistes au pouvoir?

G.-W. Goldnadel: En 2007, l’accession de Nicolas Sarkozy à la Présidence de la France avait rassuré à juste titre la Communauté juive française. Peu de temps après son arrivée à l’Élysée, Nicolas Sarkozy effectua une visite officielle en Israël. Il est vrai que la lumière n’a pas succédé aux ténèbres puisque le Quai d’Orsay a continué sa politique proarabe, mais sans hosti­li­té ostentatoire vis-à-vis d’Israël. Ce qui a changé depuis que Nicolas Sarkozy est au pouvoir, c’est la prise en compte par les autorités policières et judiciaires françaises de la dimension antisémite des attentats et des actes antijuifs perpétrés sur le Territoire hexagonal. À l’époque où les Socialistes gouvernaient la France, les pouvoirs publics étaient dans la dénégation. Ils expliquaient que les actes antisémites étaient commis pas des voyous désarçonnés. Les Socialistes ergotaient beaucoup lorsqu’ils abordaient cette question hideuse. Le retour des Socialistes au pouvoir signi­fiera tout simplement le retour d’un Gouvernement qui ne se sentira aucun devoir envers une quelconque clientèle juive et qui sera beaucoup moins ferme que ne l’a été le Gouvernement de Nicolas Sarkozy en ce qui a trait au boycott des produits pro­venant d’Israël.

C.J.N.: Le retour au pouvoir des Socialistes augure-t-il un durcissement de la politique de la France à l’endroit d’Israël?

G.-W. Goldnadel: Vous avez des personnalités dans le Parti Socialiste français qui sont farouchement anti-Israël. C’est le cas d’Elisabeth Guigou, ancienne Garde des Sceaux -Ministre de la Justice- dans le Gouvernement de François Mitterrand, qui a apporté son soutien à Stéphane Hessel quand ce dernier a appuyé sans ambages la Campagne de boycott des produits israéliens. Sans être apocalyptique, je ne suis pas non plus euphorique. Je veux donc modérer mes appréhensions. Mais si Nicolas Sarkozy est battu le 6 mai prochain par François Hollande, il ne fait pas de doute que, à mon sens, ce ne sera pas une bonne nouvelle ni pour les Juifs de France ni pour Israël. Force est de rappeler que durant la Présidence de Nicolas Sarkozy, les relations franco-israéliennes se sont seniblement amé­lio­rées. La direction du Parti Socialiste français a depuis longtemps fait un choix stratégique en direction de ce qu’on appelle euphémiquement les “Banlieues”.

C.J.N.: Dans quel état d’esprit se trouve la Communauté juive de France depuis la tuerie perpétrée à l’École juive Ozar Hatorah de Toulouse par un islamiste maladivement antisémite?

G.-W. Goldnadel: Malheureusement, que ce soit dans le cadre de la Communauté juive ou dans le cadre de la Communauté nationale française, les choses n’ont pas beaucoup changé. La Communauté juive de France n’a pas attendu que l’effroyable Affaire Mohammed Merah se produise pour prendre conscience qu’aujourd’hui être Juif en France est quelque chose de dangereux. L’attentat de la Rue Copernic de Paris en 1980, l’attentat de la Rue Des Rosiers de Paris en 1982, l’assassinat barbare d’un jeune Juif, Ilan Halimi, en 2006… À chaque fois, les Juifs Français ont été pris pour cible et à chaque fois il s’est avéré que ce n’est pas l’extrême droite, comme on a tenté de le faire croire lors des attentats de la Rue Copernic et de la Rue Des Rosiers, qui était à l’origine de ces tueries antisémites, mais l’islamisme ou la radicalité palestinienne. C’est un fait irrécusable. D’autre part, les Juifs de France ont suffisamment le sens du monde pour savoir qu’au-delà des frontières de la France les Juifs sont aussi ciblés de manière monstrueuse. L’abominable tuerie d’Ita­mar, en Israël, au printemps 2011, cinq membres d’une même famille poignardés à mort dans leur sommeil par un extrémiste Palestinien, dont on n’a pas parlé en France, illustre éloquemment ce délire obsidional antijuif. On sait bien que des enfants Juifs peuvent être massacrés partout dans le monde. Désormais, les Juifs de France savent à quoi s’en tenir et savent pertinemment, en dépit du fait que certains s’escriment à les lancer sur une fausse piste, d’où vient le danger aujourd’hui.

En ce qui concerne la Communauté nationale française, mal­heu­reuse­ment aussi, les morts Juifs ont été très largement passés idéolo­gique­ment par pertes et profits. Avant la tuerie de Toulouse, on pointait du doigt l’extrême droite. Après le drame de Toulouse, on a dit que le tueur qui a perpétré ce massacre ignoble était un fou ou un loup solitaire.

Au nom du danger de l’amalgame ou du “vivre ensemble” -je ne comprends pas ce que ce terme veut dire-, on fait l’éco­no­mie de la réflexion sur ce drame igno­minieux. Tous ceux qui se sont empressés d’incriminer le climat de la campagne présidentielle, le racisme, l’islamophobie du Front National… ne sont certainement pas prêts à amorcer un examen de conscience, qui pourtant s’impose comme une réalité aveuglante. Il est indéniable que c’est le climat de détestation pathologique d’Israël qui a fait qu’un jeune islamiste est entré dans une École juive française pour venger les enfants de Gaza.

C.J.N.: Donc, selon vous, le drame qui a endeuillé dernièrement les Juifs de Toulouse est la résultante morbide des Campagnes de dénigrement menées sans relâche contre Israël et les Sio­nistes dans les milieux de gauche et musulmans de France.

G.-W. Goldnadel: Je n’ai aucun doute là-dessus. Mohammed Merah pensait de bonne foi que les Israéliens sont des salauds qui ont ciblé intentionnellement un enfant Palestinien, Mohammed Al-Dura, blotti dans les bras de son père. Ce n’est pas Mohammed Merah qui a inventé le mythe universel exécrable du petit Mohammed Al-Dura. Ce Djihadiste patenté était aussi résolument convaincu que le principal danger pour la paix dans le monde est l’État d’Israël. Ce n’est pas une lubie de Mohammed Merah. C’est un sondage mondial, réalisé il y a quelques années, qui a montré qu’une forte majorité d’Occidentaux et d’Européens considère qu’aujourd’hui l’État d’Israël, et non pas l’Iran d’Ahmadinejad, la Syrie de Bashar el-Assad ou le Soudan D’Omar el-Beshir, est le danger numéro un qui menace la paix dans le monde… Si on pense que c’est une pure construction intellectuelle perverse, que c’est faux d’affirmer que ce sont les Israéliens qui ont tué le petit Mohammed Al-Dura, que c’est faux d’affirmer qu’Israël est l’État le plus dangereux de la planète, quand on sait que c’est un État démocratique dont la majorité des habitants ne veulent que vivre en paix… on ne peut pas faire l’économie de la réflexion.

Or, en France, cette réflexion nécessaire fait cruellement défaut. Si vous écrivez dans votre journal ce que je viens de vous dire, on vous reprochera d’exploiter cyniquement un drame horrible. En France, il y a une réelle impossibilité de réfléchir dans la sérénité, y compris dans des journaux qui ne sont pas les plus mal intentionnés. Il y a aujourd’hui en France un fossé idéologique, qui ne fait que s’approfondir, entre la Communauté juive et la Communauté nationale. Je n’ai aucun plaisir à le dire, mais on ne peut pas impunément raconter n’importe quoi sur un pays et son peuple, en l’occurrence Israël, et ensuite verser des larmes, qui ne peuvent être que des larmes de crocodiles, quand un drame, comme celui qui vient de meurtrir les Juifs de Toulouse, se produit. Vous ne pouvez pas matraquer médiatiquement les gens depuis 30 ans, en leur faisant croire qu’Israël est la source de tous les maux qui affligent l’humanité, sans qu’il y ait des dégâts.

C.J.N.: Comment envi­sagez-vous l’avenir des Juifs en France?

G.-W. Goldnadel: Je ne peux pas envisa­ger l’avenir des Juifs en France avec sérénité et optimisme. Bien entendu que je suis perplexe. Aujourd’hui, bon nombre de jeunes Juifs se questionnent sur leur avenir en France. Les Juifs de France, qui sont si anciennement enracinés dans leur pays, devraient conserver toute leur place au sein de la Communauté nationale. Ce serait un drame pour eux, et aussi pour la France, s’ils devaient s’expatrier, même si l’immigration vers Israël reste toujours une possibilité pour chaque Juif, bien que celle-ci ne soit pas une obligation. Il ne faut certainement pas reprocher à la jeunesse juive française de faire ce triste constat. Je dis cela sans esprit de bravade ou de provocation.

 

In an interview, French lawyer and author Gilles-William Goldnadel talks about the implications for the Jews of France if the Socialists win the May 6 elections.