La guerre des mots dans le conflit israélo-palestinien

Le Rabbin Marc-Alain Ouaknin est très préoccupé par “la faiblesse et les lacunes” de la communication politique de l’État d’Israël.

Rabbi Marc-Alain Ouaknin

“Ce qui me taraude, c’est un paradoxe: comment nous, les Juifs, qui sommes à l’origine des traditions du Livre et de la lecture, qui transmettons la parole, l’esprit critique et la liberté, et qui avons un rapport pri­vi­lé­gié avec le langage et l’interprétation des textes, n’avons pas encore trouvé les mots justes pour communiquer ce que nous sommes vraiment, aussi bien au niveau culturel que politique. Je suis consterné de voir que la communication politique de l’État d’Israël n’arrive pas à expliquer cette vérité irrécusable. Aujourd’hui, le peuple juif et l’État d’Israël sont victimes d’un déluge médiatique qui se caractérise par une communication perverse, détournée et malveillante. Je pense que la guerre à la­quelle Israël et le peuple juif sont désormais confrontés n’est plus une guerre de violence physique, dans la mesure où en cette deuxième décennie du XXIe siècle toutes les nations ont plus ou moins le même pouvoir physique, que ce soit la bombe atomique ou d’autres armes de destruction mas­sive. Je crois qu’il est impératif d’amorcer une réflexion sur le langage pour réhabiliter les droits du peuple juif sur sa Terre ancestrale, Eretz Israël. Le langage comme outil ou comme arme, pas pour combattre mais pour se faire comprendre”, explique le Rabbin Marc-Alain Ouaknin en entrevue.

Rabbin et Docteur en Philosophie, le Rabbin Marc-Alain Ouaknin, qui est professeur associé à l’Université Bar-Ilan de Ramat-Gan, en Israël, est l’auteur d’une quarantaine de livres sur le Judaïsme et ses différents courants de pensée.

Ce fin exégète des textes bibliques croit qu’“un grand malentendu linguistique et lexical” nourrit depuis longtemps le contentieux entre Israël et les Pa­lestiniens.

“Moi, je suis très attentif à toutes les questions relatives au langage puisque c’est mon domaine dans mes activités d’enseignement de la Phi­lo­so­phie et dans mes champs de re­cherche con­nexes. Je suis toujours stupéfait de constater qu’il y a des choses très évidentes qu’on ne souligne pas. Par exemple, depuis 2000 ans, sur toutes les cartes géographiques, la Cisjordanie s’appelle la Judée et la Samarie, rappelle-t-il avec insistance. Or, Judée veut dire pays des Juifs, c’est donc un lieu qui a une filiation étroite avec le Judaïsme. Il y a donc des questions à se poser quand on parle des revendications palestiniennes sur une Terre qui porte l’appellation “ pays des Juifs”. Je crois avoir trouvé une solution au conflit israélo-palestinien! Je dis cela avec humour! Le langage peut jouer un rôle déterminant dans la recherche d’une solution perspicace à cet interminable conflit.”

Par exemple, poursuit-il, Jérusalem est depuis longtemps l’objet d’une “manipulation sémantique et lexicale” instrumentalisée à des fins politiques par les Palestiniens et les ennemis de l’État d’Israël.

“Je pense que la grande majorité des Juifs ne serait pas contre un partage de Jérusalem à condition que le terme de Jérusalem en hébreu -Yeroushalayim-, en anglais ou en français soit une sorte de copyright pour l’État d’Israël et les Juifs. C’est-à-dire que si un jour Jérusalem est partagée, les Palestiniens n’appellent pas officiellement cette Ville Jérusalem mais Al-Qods. Quand on dit que les Pa­lestiniens désirent que Jérusalem soit la capitale de la Pa­lestine, ce n’est pas le lieu, le terrain et la matière qui sont problématiques. Je ne comprends pas pourquoi un État arabe palestinien et musulman désire avoir une capitale qui porte un nom qui est complètement hébraïque? Ce qui choque la sensibilité des Juifs du monde entier, ce n’est pas le partage physique de la Terre de Jérusalem, c’est la captation d’héritage par les Palestiniens du nom Jérusalem, ou Yeroushalayim en hébreu. Dire aux Juifs que Jé­ru­sa­lem est la capitale de la Palestine, c’est faire complètement fi de plus de 2000 ans d’Histoire juive.”

D’après le Rabbin Marc-Alain Ouaknin, les enjeux sont énormes car le mot Jérusalem, qui est un terme hébraïque employé depuis plusieurs millénaires dans les textes de la Bible, est l’objet d’“une captation historique et juridique perfide”.

“Les textes d’il y a 2000 ans évoquant Jérusalem se réfèrent tous au Judaïsme. Si maintenant on dit que Jérusalem est un terme qui appartient aussi aux Palestiniens, quand on trouvera lors de fouilles achéologiques un objet datant de l’époque de la Jéru­sa­lem biblique ou romaine, ces derniers s’empresseront de proclamer: “Vous voyez, la capitale des Palestiniens a toujours été Jérusalem. Il y a des preuves irréfutables de notre présence à Jérusalem depuis 2000 ans”. C’est avec ce stratagème malicieux que les Israéliens et les Juifs ont été piégés”.

“Palestine” est un terme que l’Empereur romain Hadrien forgea en 135 pour oblitérer le nom “Judée”. Depuis 2000 ans, le terme “Palestine” a remplacé dans les textes le terme “Judée”. Ainsi, au 19e siècle, les recherches archéologiques menées en Terre sainte, sur le territoire qu’on appelle aujourd’hui Israël, portaient l’appellation de “Missions archéologiques de Palestine””, constate le Rabbin Marc-Alain Ouaknin.

“On a dénommé “palestiniennes” ces découvertes archéologiques alors qu’il s’agissait de vestiges appartenant au peuple juif. Mais à partir du moment où ces découvertes ont été labelisées palestiniennes, elles sont aujourd’hui revendiquées avec force par les Palestiniens. Les Juifs ont ainsi perdu 2000 ans d’épaisseur de leur Histoire parce qu’ils ont laissé échapper le terme “Palestine”. C’est une grande erreur que le père fondateur de l’État d’Israël, David Ben Gourion, a commise.”

Le Rabbin Marc-Alain Ouaknin est convaincu qu’il pourrait y avoir “une résolution lexicale du conflit israélo-palestinien” ou “une résolution de ce conflit par le biais d’une réflexion lexi­cale” si l’État d’Israël changeait son nom en “État de Palestine juive”.

“Les Arabes du monde entier, et les Palestiniens en particulier, savent très bien que toute leur stratégie de revendications ne repose que sur un terme, “Palestine”, qui leur permet de requérir des textes, des terres et un ensemble de cultures. Le partage de certains Territoires sous la juridiction de l’État d’Israël ne pourra pas avoir lieu tant que les Palestiniens ne reconnaîtront pas la spécificité et la propriété juives du terme “Palestine”. Mais le retour à un partage de la Palestine juive et arabe, comme le préconisait l’O.N.U. en 1947, c’est quelque chose qui est absolument impossible et impensable parce qu’à ce moment-là, le monde entier comprendra que ça fait plus de 60 ans que les Palestiniens et les Arabes nous manipulent pas seulement avec des revendications territoriales ou politiques mais aussi avec le langage et des termes inhérents à celui-ci.”

In an interview, Israeli professor Rabbi Marc-Alain Ouaknin talks about the Israelis’ mistakes in using language to define and describe the Jewish State.