La Source de vie du Rabbin Josy Eisenberg

Depuis 1962, le Rabbin Josy Eisenberg anime tous les dimanches matins sur la chaîne de télévision France 2 une émission consacrée au Judaïsme, La Source de vie, l’une des plus anciennes émissions de la télévision française. Pour des millions de téléspectateurs juifs et non-juifs, cette émission constitue un rendez-vous incontournable, un lien vivant avec une tradition plusieurs fois millénaire.

Le Rabbin Josy Eisenberg

En près d’un demi-siècle, le Rabbin Josy Eisenberg a reçu dans le cadre de cette émission les figures les plus marquantes du Judaïsme français, israélien et de la Diaspora. Des universitaires renommées -André Néher, Charles Mopsik, Moshé Idel, Armand Abécassis…-, des penseurs réputés -Henri Atlan, Bernard-Henri Lévy, Daniel Sibony…-, d’éminents Rabbins -Adin Steinsaltz, Joseph Sitruk, René-Samuel Sirat, Gilles Bernheim, Michel Guggenheim…-, sans oublier des personnalités d’exception: Émmanuel Levinas, Élie Wiesel, Yeshayahou Leibowitz, Maurice Clavel, David Ben Gourion (qui traduisit en hébreu toutes les oeuvres de Platon), Vladimir Jankélévitch, Albert Cohen dialoguant avec son ami Marcel Pagnol…

L’ensemble, qui représente des centaines d’heures de programmes -quelque 3000 émissions-, constitue un patrimoine inouï, à la fois témoignage de notre siècle et mise à la portée de tout un chacun du patrimoine juif immémoriel.

Les Éditions Albin Michel ont entrepris de rassembler ce trésor culturel et spirituel sous la forme de volumes thématiques. Les deux premiers volumes de cette nouvelle série qui comptera 15 livres, publiée dans l’excellente Collection “Présence du Judaïsme” des Éditions Albin Michel, viennent de paraître: La Cabbale dans tous ses états -entretiens avec Éliane Amado Lévy-Valensi, Henri Atlan, Daniel Epstein, Roland Goetschel, Joëlle Hansel, Moshé Idel, Bernard Maruani, Charles Mopsik et le Rabbin Marc-Alain Ouaknin- et Dieu et les Juifs -entretiens avec Armand Abécassis, le Grand Rabbin Gilles Bernheim, Benjamin Gross, le Rabbin Michel Guggenheim, le Rabbin Marc-Alain Ouaknin et le Grand Rabbin Joseph Sitruk.

Le Rabbin Josy Eisenberg nous a accordé une entrevue à l’occasion de la publication de cette série de volumes thématiques qui devraient rapidement s’imposer comme le témoignage de référence de la vitalité intellectuelle et spirituelle du Judaïsme francophone.

Canadian Jewish News: Dans votre émission, “La Source de vie”, vous n’invitez pas que des Rabbins et des hommes de religion mais aussi des penseurs, des intellectuels et des spécialistes du Judaïsme -hommes et femmes-, certains d’entre eux étant même éloignés de la tradition religieuse juive. Vos choix d’invités sont assez hétéroclites?

Rabbin Josy Eisenberg: Une des mutations les plus remarquables qui se sont produites dans l’histoire juive contemporaine, c’est le grand intérêt que portent désormais pour le Judaïsme les Chrétiens et des universitaires juifs qui avant la Deuxième Guerre mondiale étaient complètement assimilés. C’était le cas du célèbre universitaire et écrivain Raymond Aron, du grand sociologue Georges Friedmann, qui a été plusieurs fois au bord de la conversion au catholicisme…

Aujourd’hui, il y a une nouvelle génération d’intellectuels juifs, Bernard-Henri Lévy, Alain Finkielkraut… qui se déclarent non pratiquants, et même parfois athées, qui ont renoué avec le Judaïsme à travers la culture juive. Ce rapprochement s’est opéré en particulier sous l’influence du philosophe et talmudiste Émmanuel Levinas, que j’ai eu le privilège d’interviewer plusieurs fois. Cet ingénieux penseur a redonné au Talmud ses lettres de noblesse dans l’esprit d’intellectuels plutôt portés sur la philosophie occidentale.

C’est un phénomène sociologique très remarquable. Il y a aujourd’hui un intérêt philosophico-culturel pour le Judaïsme.  Tout comme aux États-Unis le Judaïsme est entré dans la culture populaire avec Philip Roth et Woody Allen, en France, le Judaïsme est entré dans la culture intellectuelle, et aussi dans la culture médiatique, grâce au travail de réflexion mené par de brillants intellectuels juifs et non-juifs.

Il est donc normal que je fasse appel dans mes émissions pour expliquer et commenter la tradition juive pas seulement à des Rabbins mais aussi à des philosophes, des psychanalystes, des romanciers, des scientifiques… qui parfois se définissent eux-mêmes comme “athées”.

C.J.N.: En cette première décade du XXIème siècle, quel regard portez-vous sur le Judaïsme?

Rabbin J. Eisenberg: Aujourd’hui, le Judaïsme n’est plus considéré comme une religion mais comme une réalité sociologique. C’est là où réside le danger. Les Juifs étaient jadis un peuple théophore -ayant un lien direct avec Dieu. Ils avaient une identité religieuse. Aujourd’hui, une partie du peuple juif s’est laïcisée, refuse le concept d’Élection mais s’accroche à sa judéité par fidélité à la mémoire de la Shoah en la transformant en une sorte d’humanisme d’inspiration biblique. La laïcité juive est aussi un véritable danger parce qu’elle ne peut pas se transmettre aisément. Autant le Judaïsme religieux peut se transmettre de père en fils parce qu’il a des traditions, des textes millénaires… autant une identité qui repose uniquement sur la Mémoire du passé ne peut pas prétendre se perpétuer. Cette nouvelle forme de religiosité qu’est devenue la Mémoire de la Shoah constitue à la fois le dernier mode de relation qu’ont certains Juifs assimilés avec le Judaïsme et un facteur de totale déjudaïsation car elle transforme le Judaïsme non pas en une Association d’anciens combattants mais d’anciens combattus.

En France, le côté victimaire est très important. Il y a beaucoup de Juifs qui se considèrent Juifs uniquement parce qu’ils veulent rester fidèles à la Mémoire de la Shoah. Un philosophe français, Richard Marienstras, a expliqué, sur un ton sarcastique, pourquoi tant de Juifs assimilés soutiennent l’État d’Israël alors qu’ils se sentent d’abord citoyens français. Pour lui, c’est comme quelqu’un dont le père a une boutique qui vient de brûler. La municipalité veut construire un parking sur le lieu où était localisée cette boutique. Le fils s’oppose fougueusement à ce projet. Il veut qu’on conserve la boutique de son père. Il va donc donner de l’argent pour qu’on la reconstruise!

C.J.N.: À la lecture des deux premiers volumes que les Éditions Albin Michel viennent de consacrer à votre émission “La Source de vie”, on réalise à quel point le Judaïsme est toujours une religion et une tradition culturelle d’une brûlante actualité.

Rabbin J. Eisenberg: Absolument. Prenez par exemple la récente crise des subprimes -les crédits hypothécaires à haut risque-, qui a ravagé l’économie américaine. Si le principe énoncé dans la Bible sur l’annulation des dettes avait été rigoureusement appliqué, la grande crise financière que le monde connaît aujourd’hui aurait pu être évitée. Cela vous paraîtra sûrement une vision un peu utopique mais sur cette question capitale la Bible nous prodigue des conseils fort judicieux.

Le jubilé prévu dans la Bible est fondamental, c’est-à-dire qu’à la 7ème année toutes les dettes étaient remboursées et à la 50ème année toutes les terres étaient rendues à leur propriétaire. La Bible avait compris les risques de surendettement en même temp qu’elle condamnait les excès du crédit en interdisant l’usure.

Il ne peut pas y avoir de situation plus urgente et plus actuelle que cette sinistre histoire qui est en train de ruiner le monde. Je pense qu’effectivement, sans prétendre qu’avec l’aide d’un Séfer Torah on peut résoudre les grands problèmes économiques contemporains -le chômage, les inégalités socioéconomiques, la famine…-, dans le Judaïsme, il y a des idées très fortes et très perspicaces que la civilisation occidentale a malheureusement négligées.

C.J.N.: La recrudescence de l’antisémitisme en France vous inquiète-t-elle?

Rabbin J. Eisenberg : Depuis le début des années 90, avec le développement de la population d’origine musulmane en France et l’aggravation du conflit du Moyen-Orient, un antisémitisme populaire, émanant essentiellement des milieux arabo-musulmans, est apparu dans la société française. Ce nouvel antisémitisme a créé un malaise profond et une grande inquiétude dans la Communauté juive de France. Une inquiétude que je partage totalement.

Depuis l’an 2000, il y a eu un accroissement sensible de l’immigration juive française vers Israël. Quantitativement, ce regain de l’Aliya des Juifs de France n’est pas très significatif. Mais quand on passe de 2000 à 3500 Juifs qui quittent définitivement la France, ça veut dire quelque chose pour les statisticiens! Ce malaise persiste et s’accentue même aujourd’hui. Le récent procès des assassins du jeune Ilan Halimi et la rhétorique abjecte et foncièrement antisémite martelée par Dieudonné ont réouvert des plaies et montrent à quel point l’antisémitisme peut devenir sordide.

C.J.N.: En Israël et dans les Communautés juives de la Diaspora nombreux sont ceux qui perçoivent la France comme un pays antisémite. Ce grief décapant vous surprend-il?

Rabbin J. Eisenberg: Le monde médiatique dans lequel nous vivons a pour fonction de grossir les événements. Les médias sont devenus une sorte de loupe grossissante qui fait que seuls les événements qui sortent un peu de la normalité sont susceptibles d’ intéresser les journalistes. Par conséquent, en France, dans la réalité, les choses ne sont pas aussi graves qu’elles ont l’air de l’être parce que ce ne sont pas des lames de fond, des événements qui sont vécus par l’ensemble de la communauté nationale française.

Les sondages sont éloquents. Ils montrent qu’il y a de moins en moins de Français qui se déclarent hostiles aux Juifs. Le nombre de Français prêts a voter pour un député, un ministre, voire même un président de la République, d’origine juive, a considérablement augmenté depuis cinquante ans. La France n’est pas un pays antisémite. Mais les attaques de synagogues, de Centres communautaires et d’écoles juifs, actes de vandalisme rapportés quotidiennement par les médias français, montrent qu’il y a un réel problème. Je ne ferai pas des prédictions sur l’avenir de la Communauté juive de France. Je n’ai pas une boule de cristal! Je dis souvent qu’il y a deux endroits dans le monde où les Juifs sont vraiment en danger: l’État d’Israël, à cause du conflit israélo-arabe, et la Diaspora. C’est très difficile de conjecturer sur ce ce qui va se passer dans les années à venir dans la Diaspora juive qui, à cause des mariages mixtes, de plus en plus nombreux, apparaît aujourd’hui comme une peau de chagrin.

C.J.N.: Vous êtes donc assez pessimiste en ce qui a trait à l’avenir des Juifs en France et en Occident?

Rabbin J. Eisenberg: Dans les Diasporas juives européenne et nord-américaine, notamment aux États-Unis, le plus grand danger est démographique. Le nombre de Juifs ne cesse de diminuer. Dans la Diaspora juive occidentale, le problème de l’assimilation est devenu un grand fléau. Dans un monde juif où il y a 50% de mariages mixtes, il est évident qu’il y aura moins de Juifs. Même si un mariage mixte ne signifie pas systématiquement l’extinction d’une lignée juive, en tout cas il y mène en grande partie. Le grand danger qui pèse aujourd’hui sur le peuple juif, c’ est l’assimilation. L’État d’Israël est un rempart contre cette assimilation échevelée.

 

Rabbi Josy Eisenberg, who has hosted a weekly TV show in France since 1962, talks about some of the people he has interviewed and his thoughts on modern Judaism.