Un Capitaine sépharade en Afghanistan

Aaron est le premier Sépharade à détenir le grade de Capitaine dans les Forces Armées canadiennes. Pour des raisons de sécurité inhérentes aux fonctions de commandement qu’il a as-su-mées durant son séjour en Afghani-stan, l’interviewé a souhaité nous livrer ses impressions et réflexions sur son expérience militaire dans les terroirs afghans sous un nom fictif, Aaron.

Le Capitaine Aaron des Forces Armées canadiennes (à gauche) patrouillant dans une rue de Kandahar.

Le Capitaine Aaron, qui a séjourné durant huit mois consécutifs au quartier général des Forces interarmées de Kandahar, est résolument convaincu que la guerre à laquelle participent les forces militaires canadiennes en Afghanistan est un “combat juste et crucial pour l’avenir des démocraties occidentales”.

“Quand j’étais en Afghanistan, malgré les dures épreuves auxquelles nous étions confrontés quotidiennement, je ne me suis jamais dit que la guerre que nous menons depuis septembre 2001 contre les Talibans ne sert à rien. Si on se place dans la perspective des droits de l’homme, le régime taliban ne pouvait être évincé du pouvoir que par la force. On ne pourra pas venir à bout de ce régime totalitaire en décrétant des sanctions éco-no-miques, comme on essaye de le faire actuellement, en vain, avec l’Iran de Mahmoud Ahmadinejad”, explique-t-il en entrevue.

La réalité sur le terrain, “très ardue, fortement complexe et dangereuse”, contraste grandement avec les “clichés instantanés et fallacieux forgés de toutes pièces par les opposants à cette guerre”, ajoute-t-il.

“C’est malheureux et très perturbant que cette guerre ne fasse pas l’una-ni-mité dans l’opinion publique et la classe politique canadiennes. Les politiciens qui critiquent avec véhémence la présence des troupes canadiennes sur le sol afghan invoquent comme prétexte le fait qu’ils sont outrés de voir mourir des jeunes Canadiens sur le champ de bataille. Ce sont des hypocrites. La gauche canadienne ne supporte pas cette guerre parce qu’elle pense que c’est une guerre purement américaine, entièrement instrumentalisée par le gouvernement de George Bush. Pourtant, force est de rappeler que c’est la gauche canadienne qui avant 2001 se plaignait du régime des Talibans. Les critiques formulées contre cette guerre dérangent profondément les soldats canadiens qui se battent sur le terrain.”

Mais accoler l’épithète de “gauchiste antiaméricain” à chaque opposant à la participation du Canada à la guerre en Afghanistan, n’est-ce pas un jugement catégorique et trop réducteur?

“Tous ceux qui critiquent aujourd’hui la guerre que nous menons en Afghanistan contre un régime abject et fondamentaliste le font par antiaméricanisme pur et dur ou par ignorance. En effet, une personne bien informée sur la situation qui prévaut aujourd’hui en Afghanistan et sur le passé historique du régime des Talibans ne peut avec acquis de conscience critiquer tranquillement cette guerre, comme s’il s’agissait de broutilles. Elle peut critiquer la façon dont cette guerre est menée, c’est son droit le plus légitime, mais critiquer la raison d’être de cette intervention militaire, c’est totalement insensé et injustifié”, répond tout à trac le Capitaine Aaron.

Né à Mont-réal dans une famille sépharade originaire du Maroc, Aaron a complété ses études primaires et se-con-daires dans une école privée juive mont-réalaise. Au Cégep, il a poursuivi des études post-secondaires en sciences pures et appliquées. Très jeune, il rêvait de devenir un jour pilote de chasse.

“Pour moi, c’était le défi ultime dans ma vie. Mais, j’ai dû renoncer à ce rêve parce que j’étais daltonien. J’ai demandé alors à un instructeur militaire quel était le métier le plus difficile? Il me répondit sans hésiter: l’infanterie. J’ai décidé alors de m’engager dans l’infanterie terrestre”, raconte-t-il.

En 1999, le lendemain de sa graduation du Secondaire, à l’âge de 17 ans, Aaron se joint au camp de recrues des Forces Armées canadiennes. Il suit un entraînement intensif pendant l’été et un entraînement à temps partiel durant l’hiver. Après avoir obtenu son Diplôme d’Études Collégiales (D.E.C.), il entame des études en ingénierie à l’Université Concordia.

Son profond attachement à l’État d’Israël est une des raisons qui l’ont incité à porter l’uniforme militaire.

“Mon école secondaire était très sio-niste. La tragédie de la Shoah nous était rappelée très souvent. Quand j’étais jeune, je ne comprenais pas pourquoi les résistants juifs n’avaient pas combattu les nazis plus farouchement durant la Deuxième Guerre mondiale. Quand j’avais 12 ou 13 ans, je m’étais juré que si Israël était un jour en danger et avait urgemment besoin de moi, je n’hési-terais pas à m’enrôler dans Tsahal. J’avais alors fait la promesse que si Israël était contraint à s’engager dans une guerre de survie, comme ce fut le cas en 1967 et 1973 -les guerres au Liban en 1982 et 2006 ne furent pas des guerres pour assurer la survie de l’État hébreu-, j’irais combattre auprès des soldats israéliens. Finalement, pour ne pas abandonner complètement mes études pendant trois années consécutives, j’ai décidé de faire mon entraînement militaire dans les Forces Armées canadiennes, où j’ai pu suivre une formation militaire tout en poursuivant mes études.”

Aaron a obtenu en 2005, à l’âge de 23 ans, le grade de Capitaine des Forces Armées canadiennes. À l’été 2007, il a fait partie d’un contingent de soldats canadiens envoyés en mission en Afghanistan. Un choix tout à fait délibéré.

“J’ai à maintes reprises exprimé le souhait d’aller en Afghanistan tout en étant conscient du danger que représentait cette mission militaire. Après le 11 septembre 2001, il n’y avait aucun doute dans ma tête que j’allais aboutir un jour à Kandahar.”

Comment qualifierait-il son expérience militaire afghane?

“Débarquer en plein mois de juillet à Kandahar, alors que la température atteignait 60 degrés celsius, ce n’était pas évident, ni une partie de plaisir, lance-t-il sur un ton narquois. À premier abord, on ressent une sensation plutôt étrange. Mais, en tant que soldat professionnel, je m’attendais à vivre l’expérience que j’ai vécue durant les huit mois de ma mission en Afghanistan. Si j’avais été un conscrit, peut-être que mon expérience aurait été différente. Après avoir suivi pendant plusieurs mois un entraînement militaire intensif, mon état mental était conditionné pour ce type d’expé-rience.”

La perte de compagnons de combat est un drame existentiel douloureux et très difficile à vivre pour chaque soldat, confie-t-il.

“Beaucoup de mes amis sont morts au combat. D’autres sont revenus chez eux sans une jambe… C’est certain que le danger guette à chaque instant. Un jour, j’étais en patrouille à pied. Je ressentais une sensation bizarre. J’avais un instinct. Ça fait un peu cliché, mais mon estomac me disait que quelque chose aller sauter. Je faisais très attention où je marchais. Rien n’est arrivé ce jour-là, raconte-t-il. Mais, deux semaines plus tard, après que nous ayons été relevés par un autre contingent, sur cette même route, un sergent canadien a été tué. Il a sauté sur une mine.” 

Le sentiment de peur était-il omni-présent quand il sillonnait les terroirs afghans?

“Bien sûr que nous ressentons de la peur. Un soldat est un être humain. Mais cette peur varie énormément de jour en jour, selon l’opération que nous menons, selon le contexte qui prévaut sur le terrain. Mais, pour moi, la vraie peur était la peur de ne pas performer, d’être incapable de répondre à mes propres attentes psychologiques. Je ressentais une anxiété de performance. J’avais peur que quelque chose arrive aux soldats sous ma direction.”

Aujourd’hui, la question se pose plus que jamais de savoir si la Force militaire internationale a une chance de l’emporter contre les Talibans, alors que la moitié du pays échappe au contrôle des alliés, que les insurgés recrutent de nouveaux combattants et s’arment tous azimuts?

“C’est vrai que les Talibans sont revenus en force. Ils reçoivent de l’aide des Iraniens et des Pakistanais. Ce sont des combattants aguerris qui con-naissent très bien le moindre recoin du territoire. C’est leur force. Ils parviennent à disséminer avec beaucoup d’aisance des bombes artisanales au sein de la population. L’opération militaire menée en Afghani-stan par les alliés occidentaux n’a pas été un échec. Cette opération a très bien réussie, mais elle a été mal synchro-nisée avec les efforts diplomatiques déployés et les mesures éco-no-miques mises en oeuvre pour accroître le niveau de vie de la population afghane. D’un point de vue militaire, les Talibans subissent chaque jour de nombreuses pertes.”

 Durant son séjour en Afghanistan, sur les quelque 2600 soldats canadiens en mission dans la province de Kandahar, Aaron n’a rencontré qu’un autre soldat de religion juive, Ashkénaze de souche. Dans l’armée canadienne, un Juif pratiquant ou traditionaliste a intérêt à aimer la nourriture végétarienne car “les repas casher sont une denrée alimentaire plutôt rare, pour ne pas dire inexistante”.

Aaron a passé les deux jours de la fête de Rosh Hashanah en compagnie d’un aumônier juif qui accompagnait les troupes américaines. Par contre, le jour de Kippour, il était en opération.

“Ce fut une journée très difficile pour moi, mais dans l’armée, les “accommodements raisonnables”, ça n’existe pas!”

Il déplore que l’appui de la Communauté juive aux soldats canadiens en mission en Afghanistan soit pusillanime.

“Il est temps que les Juifs de Mont-réal expriment plus fortement et plus explicite-ment leur appui à nos soldats. Ces derniers se battent pour assurer notre sécurité et liberté.”

Dès son retour à Montréal, Aaron a repris ses études en génie à l’Université Concordia. Il est toujours membre de Forces de réserve de l’armée canadienne.

In an interview, Aaron (not his real name), the first Sephardi Jew to have the rank of captain in the Canadian Armed Forces, talks about the war in Afghanistan, where he served.