Entrevue avec le célèbre animateur Michel Drucker

Michel Drucker (Nikos Aliagas/Robert Laffont photo)

Michel Drucker, l’animateur de télévision le plus célèbre de France et de la Francophonie, était de passage à Montréal pour présenter son nouveau livre autobiographique, Il faut du temps pour rester jeune (Éditions Robert Laffont).

Dans ce plaidoyer percutant contre le jeunisme ambiant, Michel Drucker nous livre ses réflexions sur l’âge et le temps qui passe. Il évoque ses expériences de vie et des moments charnières de son impressionnante carrière.

Il dédie aussi des pages magnifiques à Israël, pays qui lui a réservé récemment un accueil enthousiaste et à qui il rend un vibrant hommage.

Conversation à bâtons rompus avec l’as des as du paysage audiovisuel français.

Dans votre livre, vous dénoncez vigoureusement ce que vous appelez le racisme de l’âge.

J’admets que cette expression est peut-être trop forte. Mais, avec le temps qui passe, dans mon métier comme dans d’autres professions, à un moment donné on sent bien qu’il faut passer la main pour céder la place à la jeune génération. C’est normal qu’on pense davantage aux jeunes quand on a plus de soixante-dix ans. Le seul problème, c’est qu’il y a encore beaucoup de seniors qui regardent mes émissions à la télévision et qui, je crois, ont droit aussi à avoir quelques représentants de leur génération dans l’univers télévisuel. Mais il faut être lucide. Quand on a à son actif cinquante-cinq ans de carrière et plus de soixante-dix ans, comme c’est mon cas, on est beaucoup plus proche de la retraite —un mot que je n’aime pas prononcer— que d’un début de carrière. Ce livre est une réflexion très personnelle sur ce que signifie avoir soixante-dix ans aujourd’hui. Quand je dis qu’il faut du temps pour rester jeune, c’est parce que je suis résolument convaincu qu’on peut être encore jeune à soixante-dix ans passés. En effet, aujourd’hui, grâce aux progrès fulgurants de la médecine et de la science, on peut vivre mieux et plus longtemps. Je tiens ainsi à encourager ceux qui ont mon âge. Il ne faut pas désespérer! L’âge ne devrait pas être une source d’inquiétude. Vieillir est une réalité incontournable, mais ça ne veut pas dire pour autant devenir vieux.

Cinquante-cinq années ininterrompues de métier dans le très concurrentiel univers télévisuel, c’est indéniablement une grande prouesse. Y a-t-il une recette Michel Drucker?

Je suis le premier surpris d’être encore là. On n’est pas nombreux, pas seulement en France mais aussi dans le monde, à exercer ce métier depuis plus de cinquante ans. Moi aussi je me pose la question qu’on me pose souvent: comment avez-vous fait pour être encore à la télévision après tellement d’années? Il n’y a certainement pas de recette miracle, simplement quelques ingrédients essentiels: la passion, la chance, le goût des gens, le rapport, sans doute assez fort, que j’ai avec toute une génération de Français qui me suivent depuis 1964. Aujourd’hui, c’est la troisième génération de téléspectateurs qui regardent mes émissions. La télévision est un média qui pénètre dans les foyers. On finit par établir une relation très particulière, très familiale, avec le public. C’est ce qui m’est arrivé. C’est vrai que je suis le premier étonné de tout ça. J’aimerais bien que ça continue parce que j’aime beaucoup ce métier. J’aime aussi beaucoup parler avec les gens. Au fil des années, j’ai établi un rapport très complice avec le public fidèle qui suit mes émissions.

Parlez-nous du nouveau spectacle musical auquel vous êtes associé qui sera présenté prochainement dans plusieurs villes du Québec.

Je suis venu au Québec de nombreuses fois. C’est toujours un grand plaisir pour moi d’y revenir. Mes émissions sont diffusées au Québec depuis 1975. Je suis associé à un spectacle musical, Francostalgie, qui célèbre des chansons québécoises et françaises qui ont traversé le temps et l’océan. Je suis le narrateur de l’histoire de ces chansons. Quatre jeunes chanteurs québécois très brillants, Maxime Landry, Vanessa Duchel, Michaël et Éléonore Lagacé, interprètent soixante-cinq chansons qui ont marqué, de 1965 à 1995, les relations culturelles entre la France et le Québec. C’est un très beau spectacle musical.

Vos racines familiales et identitaires sont de plus en plus importantes pour vous.

Avec le temps qui passe, les racines identitaires rejaillissent toujours. Je m’aperçois qu’avec l’âge, la mémoire du passé est très forte. Elle est peut-être plus forte que la mémoire récente. C’est vrai que je regarde souvent dans le rétroviseur de ma famille, de mes parents, Abraham et Lola Drucker. Je relate dans le livre mon récent séjour en Israël. Je suis allé une première fois dans ce pays en 2000 pour interviewer Sylvester Stallone sur le lieu du tournage de Rambo 3, dans le désert du Néguev. Je n’y suis resté que deux jours. Pour un voyage initiatique et un retour aux sources, on fait mieux! Cette fois-ci, mon séjour a été plus long. Une partie de ma famille a émigré en Israël au moment de la création de ce pays, il y a soixante-dix ans déjà. C’était important pour moi de découvrir les multiples facettes, fort méconnues, d’Israël. J’ai sillonné Jérusalem et Tel-Aviv. Ça a été une visite très émouvante. Né au sein d’une famille ashkénaze originaire d’Europe centrale, je tenais absolument à me rendre sur les lieux saints et à voir de près ce pays dont on parle tellement dans les médias.

C’était votre première visite de Jérusalem.

La beauté de cette ville trois fois sainte m’a subjugué. Le Mur des lamentations est un lieu plurimillénaire qui m’a profondément ému. Il faut s’en approcher pour que ses pierres usées, rongées et dorées parlent. Dès qu’on les touche, religieux ou pas, Juif ou non-Juif, quel que soit notre âge, notre patrie, on est enivré. Comme tant d’autres l’ont fait avant et le feront après moi, j’ai glissé entre deux blocs de pierres ma pensée inscrite sur un petit bout de papier plié en quatre. J’ai beaucoup pensé à mes parents quand le maire de Jérusalem m’a remis la médaille de la ville devant de nombreux journalistes et caméras.

Qu’est-ce qui vous a le plus marqué en Israël?

Israël est un pays d’une très grande jeunesse. Quand on visite pour la première fois cette contrée, dont la superficie géographique est des plus étriquées, on est frappé par l’enthousiasme de sa jeunesse, qui vit une aventure humaine très particulière. Je ne suis pas resté longtemps, mais suffisamment pour être impressionné et fortement touché par ce que j’ai vu. La passion et la vitalité du peuple d’Israël, qui depuis la création de ce pays est confronté quotidiennement à de grandes menaces existentielles, m’ont beaucoup marqué. Les Israéliens vivent dans un état de stress permanent qui n’apparaît pas du tout quand vous visitez leur pays. En réalité, nous sommes plus stressés qu’eux. Les Israéliens ont l’habitude de vivre dans l’incertitude permanente compte tenu de la situation géopolitique tendue qui sévit au Moyen-Orient. J’ai été très frappé de voir l’harmonie et l’équilibre de la jeunesse israélienne qui n’a pas peur, va de l’avant et fait preuve d’une très grande maturité. À dix-huit ou vingt ans, les jeunes Israéliens ont déjà un grand vécu.

Vous avez même partagé votre passion pour les avions avec de jeunes pilotes de l’armée de l’air d’Israël.

Absolument. J’ai eu le grand privilège de visiter une base aérienne de Tsahal. L’armée de l’air d’Israël est très particulière et extrêmement jeune. La sécurité de l’État passe par les airs et par l’aviation. Je voulais rencontrer ces jeunes pilotes, âgés seulement de vingt-quatre ou vingt-cinq ans, qui assurent la sécurité de leur pays dans le ciel d’Israël et des environs. Ça m’a beaucoup impressionné.

Vous avez présenté au Théâtre du Beit Hachayal de Tel-Aviv votre spectacle solo, Seul… avec vous, devant un public de fans très enthousiastes.

Ma rencontre à Tel-Aviv avec le public francophone m’a beaucoup ému. Les Israéliens francophones me connaissent depuis longtemps parce que mes émissions sont aussi diffusées hebdomadairement en Israël. L’Israélien entretient un rapport assez fort avec la France et la langue française. Dans le théâtre de Tel-Aviv où j’ai présenté mon spectacle, il y avait mille personnes qui connaissaient mes racines, mes origines. Elles m’ont réservé un accueil des plus chaleureux. Elles m’ont accueilli en m’applaudissant debout, pendant dix minutes. Comme quelqu’un qui revient chez lui. Ce n’était pas seulement “bienvenue chez nous”, mais “bienvenue chez toi”. Juste avant de quitter la scène, j’ai prononcé trois mots en hébreu: Am Israel Haï —Israël vivra. Ça restera un souvenir très fort dans ma vie personnelle et professionnelle.

Visiter Israël sur place n’est-il pas le meilleur antidote pour contrer les stéréotypes négatifs véhiculés à propos de ce pays?

Je ne suis pas resté longtemps, mais suffisamment pour voir combien Israël est un pays vivant et dynamique qui va de l’avant grâce à l’ardeur d’une nouvelle génération extrêmement brillante et créative. Aujourd’hui, Israël est la nation par excellence des nouvelles technologies. C’est un pays qui ne dort jamais. Son énorme vitalité m’a passionné.