“Le Likoud est plus proche de l’extrême droite que de la droite”

Simon Epstein

Depuis plusieurs mois, des milliers d’Israéliens manifestent chaque semaine pour dénoncer la “corruption” du gouvernement de Benyamin Netanyahou et son ”attitude dédaigneuse” à l’endroit des règles constitutives de la démocratie israélienne.

“Beaucoup d’Israéliens son inquiets de la dérive ultra-droitière de la coalition gouvernementale dirigée par Benyamin Netanyahou. Je ne parle pas des militants de l’ultragauche qui crient au fascisme ou au nazisme! Leur rhétorique est pathétique et ridicule! Je parle de gens proches de la gauche démocratique, ou du centre, qui ne cessent d’exprimer publiquement leur frustration de voir bafouer, par le gouvernement Netanyahou, un certain nombre de principes fondamentaux qui ont toujours été appliqués en Israël: le principe d’égalité juridique entre tous les citoyens, qu’ils soient Juifs ou non-Juifs, le principe du respect de l’indépendance de la magistrature et de l’indépendance des investigations policières… La justice israélienne a instruit ces derniers mois un grand nombre d’affaires de corruption qui toutes, d’une manière ou d’une autre, tournent autour de Netanyahou”, explique le politologue et historien israélien Simon Epstein en entrevue depuis Jérusalem.

Professeur émérite de l’Université hébraïque de Jérusalem, Simon Epstein est un spécialiste reconnu de l’histoire de l’antisémitisme et de l’histoire de l’extrême droite.

Il est l’auteur de plusieurs livres, dont Les dreyfusards sous l’Occupation (Éditions Albin Michel, 2001), Un paradoxe français. Antiracistes dans la Collaboration, antisémites dans la Résistance (Albin Michel, 2008) et 1930, une année dans l’histoire du peuple juif (Éditions Stock, 2011).

D’après Simon Epstein, l’aile droite du Likoud s’est mobilisée pour venir à la rescousse de Netanyahou en attaquant systématiquement la justice, la police, qui mène des enquêtes sur ce dernier, soupçonné d’être impliqué dans deux affaires de corruption, et la presse.

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“Il n’y a pas de doute que ces procédés antidémocratiques constituent une menace contre la démocratie israélienne”, dit-il.

À l’époque où le Likoud était dirigé par Menachen Begin ou Yitzhak Shamir, ce parti politique était de droite et farouchement nationaliste, mais aussi libéral, souligne Simon Epstein.

“Force est de constater que, depuis quelques années, le Likoud s’est métamorphosé en un parti plus proche de l’extrême droite que de la droite. On a vu apparaître au sein de celui-ci des personnages qu’on n’aurait jamais vus il y a quelques années, qui défendent fougueusement des idées d’extrême droite. Désormais, des membres importants de ce parti, dont plusieurs assument des charges ministérielles, adoptent les mêmes attitudes que les politiciens d’extrême droite les plus échevelés. Ils multiplient les attaques contre le système judiciaire israélien, notamment contre la Cour suprême, refusent d’inscrire le principe d’égalité entre les Juifs et les non-Juifs dans la nouvelle loi sur la définition de la nation…. Ce qui est fort inquiétant aussi, c’est de voir le Likoud s’employer à faire promulguer une série de lois, dont certaines ont été adoptées, à consonance non pas de droite, mais d’extrême droite.”

D’après Simon Epstein, la politique menée par le gouvernement Netanyahou est en train de saborder la solution à deux États, qui est la “seule voie à emprunter pour dénouer le nœud gordien du conflit centenaire entre Israël et les Palestiniens”.

“La droite israélienne jubile quand il ne se passe rien, c’est-à-dire quand il n’y a pas de négociations avec les Palestiniens. Pour elle, c’est la situation optimale. Mais le grand problème auquel les Israéliens sont confrontés aujourd’hui est l’éloignement, chaque jour un peu plus prononcé, de la perspective de la séparation des deux États, l’un, Israël, l’autre, l’éventuel État de Palestine. Pour une forte majorité d’Israéliens, il est fondamental que l’État d’Israël conserve son caractère juif. Or, le gouvernement Netanyahou, sous la pression de l’extrême droite, et aussi sous la pression du Likoud, est en train de rendre ce scénario politique de plus en plus chimérique.”

Le soutien prodigué par le gouvernement Netanyahou aux habitants des implantations israéliennes sises en Cisjordanie considérées comme illégales est une incongruité qui entrave sérieusement la perspective d’un règlement négocié du contentieux israélo-palestinien, estime Simon Epstein.

“C’est acceptable que le gouvernement Netanyahou soutienne le développement des implantations situées dans les grands blocs de colonies qu’Israël veut absolument conserver dans le cadre d’un éventuel accord de paix avec les Palestiniens, en échange d’une rétrocession d’autres pans de territoires. Le problème est que, sous la pression de son extrême droite, le gouvernement Netanyahou encourage aussi le développement des implantations officiellement considérées comme illégales. Des colonies qui ne reposent sur aucun fondement légal. Cette politique ne peut mener qu’au scénario noir d’un État binational où, à long terme, sur le plan démographique, les Juifs seront minoritaires. Un scénario aberrant que la majorité des Israéliens récusent. Le sionisme voulait un État juif et non un État binational.”

À la veille de la célébration des 70 ans d’Israël, quel regard Simon Epstein porte-t-il sur son pays?

“Ce que les Israéliens ont accompli en l’espace de 70 ans est fondamental. Le peuple juif avait urgemment besoin de son indépendance pour assurer la pérennité de son identité, sa sécurité et son développement culturel. Les Israéliens ont bâti leur État, avec beaucoup de succès, dans des conditions qui n’étaient pas faciles. Ils sont parvenus à intégrer plusieurs millions d’immigrants provenant d’une kyrielle d’horizons culturels, à bâtir une économie moderne et performante, à faire renaître une langue, quasi morte, l’hébreu, vieille de plus de deux mille ans, à développer une culture qui rayonne aujourd’hui à l’échelle mondiale dans divers domaines: littérature, art, cinéma…”

Cependant, ajoute-t-il, des nuages sombres planent toujours sur Israël sept décennies après sa création: le conflit avec les Palestiniens, la menace iranienne…

“Mais, le plus grand défi auquel Israël fait face aujourd’hui est certainement sa capacité à demeurer un État juif. Après tout, c’était l’objectif central du sionisme”, rappelle Simon Epstein.

Un autre défi majeur auquel la société israélienne est confrontée: les inégalités socioéconomiques.

“Aujourd’hui, Israël est l’une des sociétés capitalistes les plus inégalitaires du monde occidental. Le fossé entre riches et pauvres ne cesse de se creuser. Il y a trente ou quarante ans, Israël était l’une des sociétés les plus égalitaires du monde occidental avec une très grande classe moyenne. Environ 80 % des Israéliens faisaient alors partie de cette catégorie sociale.”