‘Le Tao du Tagueur’ un roman de Serge Ouaknine

Serge Ouaknine

L’universitaire et metteur en scène de théâtre, Serge Ouaknine, vient de publier son premier roman, Le Tao du Tagueur (XYZ Éditeur, Montréal). 

Un récit magnifique et très poignant, brillamment écrit, qui nous plonge dans un univers urbain décapant, clandestin et fort méconnu: celui des tags.

Dans ce roman très envoûtant, Serge Ouaknine relate avec un grand talent littéraire les parcours insolites et la passion amoureuse incandescente d’une Chinoise, fille de calligraphe, rescapée des camps de rééducation des Gardes rouges de Mao, passionnée par la langue française, et d’un fils de mineur du Nord de la France, qui a hérité des deuils du charbon et de l’acier, graphiste hyperdoué qui a abandonné une prometteuse carrière dans le monde de la publicité pour se lancer dans les tags urbains. En quête de survie, ces deux êtres désarçonnés traverseront ensemble les écritures d’Orient et d’Occident, la violence de nos sociétés modernes, les arts de la rue et ses clans… Chacun s’escrimera à trouver la paix intérieure en puisant des forces dans sa mémoire et son savoir. Ce premier roman de Serge Ouaknine est une grande réussite littéraire.

Artiste interdisciplinaire, Docteur ès Lettres et Sciences humaines, Serge Ouaknine a été Directeur du Programme de Doctorat en Études et Pratiques des Arts de l’Université du Québec à Montréal (U.Q.A.M.). Il a signé une quarantaine de mises en scène et plus de deux cent cinquante publications sur le théâtre et la formation des acteurs, des poèmes, des récits et des nouvelles qui lui ont valu une notoriété internationale.

Depuis 2006, Serge Ouaknine partage sa vie entre Montréal, Montpellier, en France, et Jérusalem. Il a cofondé à Montpellier avec le professeur de médecine et cancérologue, Marc Ychou, un programme d’ateliers de théâtre pour des médecins cancérologues qui a pour but d’humaniser les relations de ces derniers avec les malades et les préparer à l’annonce à leurs patients d’une maladie grave ou d’une récidive. Ce Programme universitaire, une première mondiale, est destiné à de futurs médecins en 4ème année de formation.

À Jérusalem, Serge Ouaknine a mis en scène cinq pièces de théâtre avec un groupe de femmes religieuses, notamment une pièce sur la Shoah, qui a été présentée aussi en Allemagne et en Pologne. Il prépare actuellement un nouveau spectacle, qui a pour titre La Joconde et le Kamikaze, qui traite d’un thème funeste de grande actualité: le terrorisme contre la culture et les œuvres  d’art.

Serge Ouaknine a affablement répondu à nos questions par e-mail depuis Jérusalem.

Qu’est-ce qui lui a inspiré l’histoire de ce premier roman, qui nous plonge dans le monde urbain des tags et des graffitis revendicateurs?

“Depuis mon enfance, la peinture a toujours habité ma vie. Les tags urbains m’ont toujours interpellé parce qu’ils sont pour moi le baromètre d’un lieu, ils dénotent d’un humour poétique ou d’une rage sociale. Les tags peuvent être discrets, tout petits ou géants, à hauteur d’un immeuble, ou politiques et lyriques, comme ceux qui ont été dessinés sur les 155 kilomètres de long du Mur de Berlin. Les tags sont bruts, compulsifs ou savants et racontent une aventure individuelle ou celle de clans.”

C’est durant son séjour de quatre ans à Montpellier que Serge Ouaknine découvrit avec émerveillement l’univers très singulier des tags. 

“Je fus alors intrigué, voire fasciné, du fait que tout le centre-ville médiéval de Montpellier était entièrement tagué. Tout était recouvert, effacé et recommencé. Une lutte de tous les instants. Rien n’échappait à cette furie urbaine surgissant comme une peau sur la peau plus ancienne de la ville, avec parfois des trésors de poésie ou de compulsion destructive. J’ai pensé que seule une fiction pourrait rendre compte de ce cri en relatant le parcours d’un tagueur et en restituant sa rupture marginale”, explique Serge Ouaknine.

La rencontre d’une fille de calligraphe chinois et d’un Français fils de mineur était plutôt improbable. Pourtant, ces deux êtres déroutés provenant de deux univers culturels et artistiques aux antipodes l’un de l’autre vont exprimer leur nostalgie et leurs souffrances respectives à travers l’art des tags. Le Tao du Tagueur n’évoque-t-il pas la rencontre inopinée de l’art et du devoir de mémoire?

“J’ai systématiquement photographié les tags de la ville de Montpellier qui ne cessaient de changer et de se superposer, raconte Serge Ouaknine. Cet envahissement éphémère du paysage urbain méritait une réflexion face aux styles et choix des lieux. Que raconte cette fresque collective qui défigure toute surface urbaine? J’ai alors imaginé un choc des civilisations, un récit amoureux entre une étudiante de Shanghai, mystérieuse et sans âge, avec sa tradition calligraphique, et un jeune publiciste français en rupture, qui part sur la route pour un combat avec la ville. Il tague avec passion. Il sera hébergé par cette étudiante chinoise, en stage d’immersion dans la langue française.”

La philosophie du Tao occupe une place prépondérante dans ce roman.

J’aime les récits qui sont des fresques de vie. Des errances et des déambulations qui abordent ce que je nomme la “fissure existentielle”, qui est enfouie en chaque individu. D’où ma passion pour les écritures poétiques et les initiations spirituelles. Par quoi le tagueur est-il transporté? Étrangement, toutes les quêtes artistiques ou politiques se développent au fil d’un voyage initiatique. Pour le grand écrivain tchèque Milan Kundera, le roman moderne est né avec le Don Quichotte de Cervantes, c’est-à-dire avec une quête amoureuse, au fil d’une multitude de situations et de paysages. C’est un voyage picaresque. Le Tao du Tagueur raconte une passion urbaine et nous fait découvrir le visage secret d’une femme Chinoise qui avance avec urgence et douleur.”

Les récits bibliques sont une riche source d’inspiration romanesque pour Serge Ouaknine.

“J’ai trouvé mon inspiration dans la concision des récits bibliques qui font voir tout le prisme de la complexité humaine. La Bible ne cache rien. Elle montre l’homme nu tel qu’il est. Rien n’a changé. Autres sources majeure d’inspiration: les récits bouddhistes, qui sont davantage centrés sur le détachement des passions et l’acceptation de soi et de l’autre, et le Tao, qui est l’art du geste juste et du geste vrai. L’art du “être là entièrement”. C’est un syncrétisme entre l’éthique de la sagesse juive, ouverte au mouvement et à la mobilité de la pensée, les dérives et désespérances de la jeunesse en Occident et la violence du surgissement de la Chine moderne face à sa propre tradition, pour reconquérir le monde.”

Entre ces trois forces, l’“art est un outil universel de compréhension”, croit Serge Ouaknine.

“L’art est une permanence de l’expression qui choisit la vie, qui renouvelle et traduit son temps et s’ouvre sur une possible écoute universelle. Mais tout cela ne pouvait se faire qu’à travers une écriture poétique et non didactique. Ce fut une longue et passionnante aventure vers un débordement de références et en même temps vers un récit cohérent et sobre. Dire avec lyrisme, intensité et sobriété, ce fut mon apprentissage dans cette ouverture au romanesque.”