L’extraordinaire saga sépharade de Michèle Sarde

Michèle Sarde. (Photo: Maxime Reychman)

L’écrivaine française Michèle Sarde retrace la saga extraordinaire de ses ancêtres, des Sépharades de Salonique, dans un roman biographique passionnant et très émouvant, Revenir du silence (Éditions Julliard).

Nous lui avons demandé au cours d’une entrevue, réalisée via Skype depuis Santiago du Chili, où elle réside une partie de l’année, si elle est pessimiste, ou optimiste, quant à l’avenir de la culture sépharade dans un monde de plus en plus culturellement globalisé?

“Par tempérament, je ne suis pas pessimiste, mais plutôt optimiste. Il me semble qu’il y a une exemplarité dans l’Histoire des Sépharades, dit-elle. Le Québec, où vous habitez, est une société francophone qui est parvenue, contre vents et marées, à préserver sa langue, le français, que les Québécois continuent toujours à parler. Les Judéo-Espagnols se sont aussi battus fougueusement pour assurer une pérennité à leur langue et à leur culture. Pendant plus de quatre siècles, ces derniers ont réussi à perpétuer leur religion sur une terre musulmane, et aussi leur langue, qu’ils continuent à pratiquer. C’est quand même quelque chose de tout à fait exemplaire et exceptionnel.”

Aujourd’hui, ajoute Michèle Sarde, nous sommes beaucoup plus sensibles à la diversité qu’on ne l’a été durant les décennies précédentes.

“On parle davantage de l’identité, des sociétés multiculturelles, du vivre ensemble… Donc, la société judéo-espagnole devrait aussi avoir sa place dans le canevas identitaire. En Israël et dans des communautés juives de la Diaspora, on recommence à enseigner le judéo-espagnol. Par ailleurs, je crois que la loi promulguée par le Parlement espagnol en juin 2015, qui restitue la nationalité espagnole aux descendants des Judéo-Espagnols expulsés d’Espagne il y a 525 ans, est un signe fort encourageant.”

Née en Bretagne, l’année du début de la Seconde Guerre mondiale, Michèle Sarde a longtemps tu ses origines.

À la Libération, ses parents feront un choix très lourd de conséquences pour une enfant née d’un père et d’une mère juifs: elle sera baptisée afin qu’elle devienne une “Française catholique de souche”.

Peu avant la mort de sa mère Janja, surnommée Jenny, Michèle Sarde la questionnera sur ce silence abyssal dans lequel elle s’est cantonnée toute sa vie en arborant les oripeaux d’une identité factice.

Pour la première fois, au seuil de la mort, Jenny accepte de relater à sa fille des épisodes charnières de sa tumultueuse vie.

Michèle Sarde se retrouve alors au bord d’un gouffre d’énigmes. Il lui faudra huit ans pour recomposer sa vraie identité à partir du récit tardif de sa mère.

“Jenny, ma mère, ne m’aurait jamais imposé ce lourd silence s’il n’y avait pas eu la Seconde Guerre mondiale, le nazisme, la persécution des Juifs et le fait qu’elle a été obligée de se cacher, et de me cacher aussi pendant presque cinq ans. Donc, cette identité qu’elle a dissimulée pendant la guerre, elle continuera à la camoufler après la Libération pour des raisons que je laisse aux lecteurs le soin de démêler. Mais c’est assez clair que ce silence profond est la résultante funeste du terrible traumatisme que ma mère a subi pendant les années noires de l’occupation nazie”, assure Michèle Sarde.

S’appuyant sur les souvenirs de sa mère, elle se lance dans une quête éperdue des origines qui la mènera jusqu’à l’Empire ottoman, terroir où ses ancêtres judéo-espagnols ont vécu pendant plusieurs siècles après avoir été bannis d’Espagne par les rois catholiques en 1492.

Dans son livre, Michèle Sarde consacre des pages fort émouvantes à Salonique, ville natale de Jenny. Elle réhabilite les us et coutumes des habitants juifs de cette cité très cosmopolite.

Les nombreuses recherches historiques qu’elle a effectuées lui ont permis de s’immerger dans l’esprit multiculturel foisonnant de cette ville appelée jadis la “Jérusalem des Balkans”.

Michèle Sarde déboulonne le mythe tenace selon lequel les Sépharades n’ont pas été victimes de la plus abominable tragédie de l’Histoire de l’humanité, la Shoah.

“En Israël, et en France aussi, les Sépharades sont les Juifs d’Afrique du Nord. Dans mon roman, je parle plutôt des Sépharades judéo-espagnols, c’est-à-dire ceux qui ont vécu dans l’Empire ottoman. Ces derniers ont beaucoup plus subi dans leur chair les affres de la Shoah que les Sépharades d’Afrique du Nord. Nombreux sont ceux qui affirment aujourd’hui que les Ashkénazes ont été les seules victimes de la Shoah. C’est inexact. Force est de rappeler que 160000 Judéo-Espagnols ont été exterminés dans les camps nazis. Ils étaient originaires de Grèce, de Roumanie, de Yougoslavie, d’Italie…”

La question de la transmission de la mémoire est “capitale” pour Michèle Sarde.   

“J’ai aussi écrit l’histoire de mes ancêtres pour les autres Judéo-Sépharades qui ne connaissent pas leur histoire.  La question de la transmission est très importante pour moi. Mais cette question cardinale n’est pas seulement  une question privée, celle-ci est aussi une question collective. L’histoire de mes aïeux sépharades, que je narre dans mon roman, recèle une dimension plus générale, plus collective, et peut-être aussi plus universelle, parce que d’autres histoires de communautés peuvent se projeter sur la mienne.”