Quand la politique rattrape Nostra Aetate

De gauche à droite: le Nonce Apostolique Luigi Bonazzi, le Professeur Armand Abécassis, le Professeur Jean Duhaime et l’Archevêque de Montréal, Christian Lépine FATIMA GLOWA PHOTO
De gauche à droite: le Nonce Apostolique Luigi Bonazzi, le Professeur Armand Abécassis, le Professeur Jean Duhaime et l’Archevêque de Montréal, Christian Lépine FATIMA GLOWA PHOTO

“Pourquoi le Vatican a-t-il attendu 46 ans avant d’établir des relations diplomatiques avec l’État d’Israël alors qu’il s’est empressé de reconnaître officiellement l’État de Palestine, qui n’existe pas encore?”

Cette question abrupte a été posée sans détours par une femme membre de l’assistance nombreuse présente à une conférence commémorant le 50ème anniversaire de la Déclaration Nostra Aetate sur les relations entre Chrétiens et Juifs adoptée dans le cadre du Concile Vatican II le 28 octobre 1965.

L’un des invités d’honneur de cet événement, le Nonce Apostolique Luigi Bonazzi, Ambassadeur du Vatican au Canada, prit la parole pour répondre à cette question. Il explicita la position officielle de l’Église catholique en ce qui a trait à ses relations avec l’État d’Israël et au conflit israélo-palestinien.

“La Déclaration Nostra Aetate n’a pas abordé des questions politiques mais strictement religieuses. La position du Saint-Siège sur Israël et le conflit israélo-palestinien est toujours la même. Il faut garantir et respecter les droits du peuple d’Israël et les droits du peuple palestinien. Il est impératif qu’une entente soit trouvée pour garantir la justice et le respect des droits respectifs des peuples israélien et palestinien, qui ont tous deux les mêmes droits et les mêmes devoirs”, a dit le Nonce Apostolique Luigi Bonazzi.

En ce qui concerne l’épineuse question du statut de Jérusalem, la position défendue par le Vatican est immuable.

“Jérusalem est le dépôt de trois grandes religions, le Judaïsme, le Christianisme et l’Islam, qui ont le droit d’avoir un accès libre aux lieux saints de cette ville. La position clamée par le Saint-Siège est très claire:  il faut conférer un statut international à Jérusalem”, précisa le Nonce Apostolique Luigi Bonazzi.

Cette conférence commémorant le 50ème anniversaire du Texte révolutionnaire Nostra Aetate sur les relations de l’Église avec le Judaïsme et les autres religions non chrétiennes a été organisée par le Dialogue judéo-chrétien de Montréal en étroite collaboration avec la Section Québec du Centre consultatif des relations juives et israéliennes (CIJA) et la Bibliothèque publique juive de Montréal.

L’Archevêque de Montréal, Monseigneur Christian Lépine, et le Consul général d’Israël à Montréal et pour les Provinces Maritimes, Ziv Nevo Kulman, ont assisté à cette conférence.

Dans leurs allocutions respectives, l’Archevêque de Montréal, Christian Lépine, et le Nonce Apostolique au Canada, Luigi Bonazzi, rappelèrent le rôle très important que la Déclaration Nostra Aetate a joué au chapitre du rapprochement entre Juifs et Chrétiens. En un demi-siècle, grâce à ce Texte révolutionnaire, le dialogue judéo-chrétien a fait des progrès gigantesques.

L’un des principaux pionniers du dialogue judéo-chrétien au Québec, le Dr Victor Goldbloom, lut un message adressé par le Rabbin Reuben Poupko au nom du Caucus des Rabbins du Canada.

Deux grands spécialistes des écritures saintes chrétiennes et juives et du dialogue judéo-chrétien, les universitaires Jean Duhaime et Armand Abécassis, étayèrent leurs réflexions sur la Déclaration Nostra Aetate. Ils ont présenté les principales dimensions de ce Texte très audacieux qui a changé profondément la dynamique des relations entre Juifs et Chrétiens.

Cette conférence, qui a lieu dans une salle archicomble du Centre Gelber, a été modérée avec brio par Sylvia Assouline, membre du Comité exécutif du Dialogue judéo-chrétien de Montréal.

Ancien Doyen de la Faculté de Théologie et de Sciences des religions de l’Université de Montréal et ancien président du Dialogue judéo-chrétien de Montréal -il assume actuellement la vice-présidence de cette Association interreligieuse-, Jean Duhaime, qui est un spécialiste reconnu de la Bible hébraïque et des Manuscrits de la Mer Morte, brossa une brillante et très éclairante rétrospective historique du Document Nostra Aetate, dont il explicita les principaux alinéas consacrés au dialogue avec le Judaïsme.

Le paragraphe 4 de la Déclaration Nostra Aetate, qui porte entièrement sur le Judaïsme, a marqué un véritable point tournant dans les relations entre l’Église et le peuple juif.

Grâce à ce Document historique majeur, les autorités catholiques mirent fin à l’“enseignement du mépris” -expression du célèbre historien français Jules Isaac, qui fut le principal interlocuteur Juif du Pape Jean XXIII, initiateur du Concile Vatican II- et favorisèrent l’“enseignement de l’estime” et la  “guérison des mémoires” avec des “gestes concrets de repentance”, rappela Jean Duhaime.   

En dépit des désaccords de nature théologique qui subsistent toujours et des écueils qui n’ont pas été encore surmontés, Juifs et Chrétiens ont  de “belles années devant eux”, croit Jean Duhaime.

“Plusieurs questions doivent être encore abordées avec franchise. Mais les relations d’amitié qui se sont développées entre Juifs et Chrétiens depuis 50 ans sont une garantie qui leur permet de se parler franchement, même sur les questions les plus difficiles.”

Éminent exégète de la Bible, le philosophe Armand Abécassis est considéré comme l’un des meilleurs spécialistes Juifs du Christianisme et des écritures évangéliques chrétiennes.

Ce grand penseur du Judaïsme et du Christianisme, auteur de nombreux ouvrages sur la pensée juive, la pensée chrétienne et le dialogue judéo-chrétien, nous livra une réflexion magistrale et iconoclaste sur l’état des relations entre le Judaïsme et le Christianisme depuis la promulgation de la Déclaration Nostra Aetate.

Armand Abécassis est résolument convaincu que seule l’étude commune des Textes sacrés du Judaïsme et du Christianisme permettront aux Juifs et aux Chrétiens d’atténuer leurs différends et de renforcer leur respect mutuel.

“L’expérience que j’ai avec mes frères Chrétiens des études et des séminaires communs autour de Textes sacrés juifs et chrétiens m’ont montré que le Chrétien sort toujours de cette confrontation non seulement plus renforcé dans son Christianisme, mais aussi plus lucide et plus responsable. Il en est de même pour le Juif. Grâce à l’étude de ces Textes, Juifs et Chrétiens perçoivent la profondeur de leurs écritures saintes respectives, s’enrichissent mutuellement, arrivent a être solidaires et finissent par s’aimer inconditionnellement. Cette fraternité inconditionnelle leur permet de se dire les choses en face et d’affronter les critiques les plus acerbes et les plus dures.”

D’après Armand Abécassis, la Déclaration Nostra Aetate marque indubitablement un “véritable tournant” dans les relations entre l’Église catholique, le Judaïsme et les autres religions.

“Certains parlent de conversion dans la perception chrétienne du Judaïsme et dans le sens et la valeur que l’Église catholique donne désormais à l’existence juive. Pour nous, Juifs, avec la Déclaration Nostra Aetate, l’Église triomphante du Moyen Âge sort de son péché originel d’orgueil et s’engage dans le difficile dialogue avec les autres religions dans lesquelles elle a enfin reconnu, comme c’est inscrit dans le paragraphe 4 de cette Déclaration,  “un rayon de la vérité qui illumine tous les hommes”. C’est une véritable révolution.”

Le Dialogue judéo-chrétien de Montréal, en partenariat avec CIJA-Québec, a organisé deux autres conférences publiques, à l’Université McGill et au Grand Séminaire de Montréal, pour souligner le jubilé de la Déclaration  Nostra Aetate.